Introduction
La musculation compétitive est un domaine qui attire de nombreux passionnés cherchant à repousser les limites de leur corps et de leur esprit. Cependant, pour comprendre véritablement ce qui pousse ces athlètes à s’engager dans des régimes d’entraînement rigoureux et des modes de vie souvent austères, il est essentiel de s’intéresser à leurs motivations profondes. C’est précisément l’objectif de l’étude de Willmott et al. (2023), intitulée “The Perfect Storm: a Meta-Ethnography of the Motivations, Behaviours, and Experiences of Competitive Bodybuilders”. Cette étude apporte un éclairage précieux sur les raisons pour lesquelles les bodybuilders font ce qu’ils font, et comment ils vivent et justifient leurs choix.
La recherche qualitative
Il est important de distinguer la recherche quantitative et la recherche qualitative pour apprécier pleinement les contributions de l’étude de Willmott et al.
Définition et objectifs
La recherche qualitative vise à explorer et à comprendre les expériences humaines à travers des méthodes descriptives et interprétatives. Contrairement à la recherche quantitative, qui cherche à quantifier les phénomènes et à identifier des relations statistiques, la recherche qualitative se concentre sur la profondeur et la complexité des expériences individuelles. Elle utilise des entretiens semi-structurés, des observations et des groupes de discussion pour recueillir des données détaillées et contextuelles.
Les objectifs de la recherche qualitative dans le domaine de la musculation compétitive sont multiples. Elle cherche à comprendre les motivations profondes des athlètes, les raisons pour lesquelles ils s’engagent dans des régimes d’entraînement intensifs et les façons dont ils perçoivent et justifient leurs comportements. En outre, elle explore les impacts psychologiques et sociaux de leur participation à ce sport, offrant ainsi une compréhension holistique des expériences des bodybuilders.
Méthodologie de la recherche qualitative
La méthodologie de la recherche qualitative est souvent basée sur l’analyse thématique, une méthode qui permet d’identifier, d’analyser et de rapporter des modèles (ou thèmes) dans les données. Cette approche est particulièrement utile pour explorer les perceptions et les expériences des participants dans des contextes spécifiques.
Dans le cadre de l’étude de Willmott et al., l’analyse thématique a été utilisée pour coder les transcriptions des entretiens en thèmes significatifs, offrant ainsi une vue d’ensemble des expériences des bodybuilders compétitifs. Cette méthodologie permet non seulement de comprendre les motivations et les comportements des athlètes, mais aussi d’informer des hypothèses futures pour des recherches quantitatives. Par exemple, les thèmes identifiés peuvent servir de base à des études sur la prévalence de certains comportements ou sur l’efficacité des interventions spécifiques.
La méta-ethnographie
Définition et comparaison avec la méta-analyse
La méta-ethnographie est une méthode de synthèse des recherches qualitatives qui permet de combiner les résultats de plusieurs études pour offrir une compréhension plus riche et plus complète d’un phénomène donné. À l’instar de la méta-analyse, qui synthétise les données quantitatives, la méta-ethnographie suit un processus systématique de recherche et de sélection des études, mais elle se concentre sur des données qualitatives.
La méta-ethnographie diffère de la méta-analyse en ce qu’elle ne cherche pas seulement à cumuler les résultats, mais aussi à réinterpréter les données de manière à produire de nouvelles compréhensions et perspectives. Cela implique un processus d’induction, où les thèmes et les concepts émergent de l’analyse des données plutôt que d’être imposés a priori. L’objectif est de créer une synthèse interprétative qui offre des insights novateurs et unifiés sur les expériences et les comportements des participants.
Processus de la méta-ethnographie
Le processus de méta-ethnographie implique plusieurs étapes clés. Tout d’abord, une recherche systématique de la littérature est effectuée en utilisant des bases de données prédéfinies et des critères de recherche spécifiques pour identifier les études pertinentes. Une fois les études sélectionnées, une évaluation de la qualité des données est réalisée pour déterminer la contribution de chaque étude à la question de recherche.
Ensuite, les données sont extraites et analysées en utilisant une méthode d’analyse thématique, où les citations des transcriptions des entretiens sont codées en thèmes. Ces thèmes sont ensuite comparés et contrastés à travers les études pour identifier des patterns et des tendances communes. Le résultat final est une interprétation novatrice qui dépasse les conclusions des études individuelles et offre une vue d’ensemble cohérente des motivations, comportements et expériences des bodybuilders compétitifs.
Dans l’étude de Willmott et al., ce processus a permis d’identifier trois cadres principaux : les motivations (“Qui je suis”), les comportements (“Ce que je fais”) et l’équilibre décisionnel (“Ce que j’en retire”). Ces cadres offrent une structure claire pour comprendre les différentes dimensions des expériences des bodybuilders, de la motivation initiale à la gestion des impacts psychologiques et sociaux de leur participation.
État actuel de la recherche qualitative sur la musculation
Perspective pathologique
Une grande partie de la recherche qualitative sur la musculation compétitive s’est concentrée sur les aspects pathologiques de ce sport. Cela inclut l’examen de la prévalence des troubles alimentaires et de l’image corporelle, ainsi que de l’abus de substances améliorant la performance. Par exemple, l’étude de Goldfield (2009) a montré que les femmes bodybuilders sont particulièrement susceptibles de développer des troubles de l’alimentation en raison des pressions exercées pour atteindre des standards de beauté extrêmes. De même, Smith et Hale (2005) ont mis en lumière la dépendance à l’exercice chez les bodybuilders, un comportement qui peut avoir des conséquences néfastes sur la santé physique et mentale.
En outre, des recherches comme celles de Wolke et Sapouna (2008) ont exploré les liens entre les expériences traumatiques, les traits de personnalité et la participation à la musculation compétitive. Ces études suggèrent que certains bodybuilders peuvent utiliser la musculation comme un mécanisme de compensation pour des expériences de vie difficiles ou pour des traits de personnalité problématiques, tels que la faible estime de soi ou la tendance à l’anxiété.
Perspective non pathologique
Cependant, il est important de noter que toutes les recherches sur la musculation compétitive ne prennent pas une perspective pathologique. Certaines études se concentrent sur les aspects positifs et neutres de la participation à ce sport. Par exemple, Parish et Baghurst (2010) ont montré que la musculation peut aider les athlètes à découvrir des forces cachées et à développer une résilience personnelle. De même, les travaux de Szabo (2018) ont exploré les motivations non pathologiques des bodybuilders, telles que la recherche de compétitions, l’amélioration de la santé et l’augmentation de l’estime de soi.
En outre, certaines recherches reconnaissent la nature potentiellement fonctionnelle de la dépendance à l’exercice lorsqu’elle se manifeste dans la poursuite d’objectifs de musculation. Par exemple, Tod et Edwards (2015) ont montré que les comportements d’exercice intensif peuvent être associés à une meilleure qualité de vie et à une satisfaction personnelle accrue, tant que ces comportements sont bien gérés et ne deviennent pas excessifs.
Questions de recherche et limitations
Questions principales
L’étude de Willmott et al. a été structurée autour de trois questions de recherche principales :
- Quelles sont les motivations des bodybuilders compétitifs pour s’engager dans les comportements associés à la musculation compétitive ?
- Comment les bodybuilders compétitifs justifient-ils ces comportements ?
- Comment les bodybuilders compétitifs gèrent-ils l’impact de ces comportements ?
Ces questions sont essentielles pour comprendre non seulement les raisons pour lesquelles les bodybuilders choisissent de s’engager dans ce sport exigeant, mais aussi comment ils rationalisent leurs choix et gèrent les conséquences de leurs actions, tant sur le plan physique que psychologique.
Limitations de l’étude
L’une des principales limitations de l’étude de Willmott et al. est l’absence de discussion sur la musculation naturelle. La musculation naturelle, ou le bodybuilding sans l’utilisation de substances améliorant la performance, est une pratique courante, mais elle est souvent négligée dans la littérature scientifique. Cette omission peut biaiser les résultats de l’étude, car les motivations et les expériences des bodybuilders naturels peuvent différer de celles des athlètes qui utilisent des substances améliorant la performance.
De plus, l’étude ne prend pas en compte les différences potentielles entre les athlètes en fonction de leur genre, de leur âge ou de leur expérience. Ces facteurs peuvent influencer les motivations et les expériences des bodybuilders, et leur omission peut limiter la généralisation des conclusions de l’étude.
Résultats de la méta-ethnographie
Motivations (“Qui je suis”)
Le cadre “Qui je suis” proposé par l’étude de Willmott et al. suggère que la participation à la musculation compétitive peut découler d’un besoin de découverte de soi ou d’un désir d’amélioration personnelle. Les bodybuilders compétitifs cherchent souvent à transformer leur identité, à devenir une version améliorée d’eux-mêmes. Cela peut être motivé par des traits de personnalité intrinsèques, tels que la détermination et la résilience, ainsi que par des facteurs socio-environnementaux, tels que le soutien de la communauté de musculation.
De plus, la décision d’utiliser des substances améliorant l’image et la performance peut être enracinée dans un désir de changer des aspects indésirables de soi-même ou de contrôler son corps. Les athlètes peuvent percevoir ces substances comme des outils nécessaires pour atteindre leurs objectifs et pour se conformer aux standards esthétiques de la musculation compétitive.
Comportements (“Ce que je fais”)
Le cadre “Ce que je fais” est centré sur le concept de contrôle. Les athlètes de musculation compétitive décrivent comment ils développent une nouvelle identité en exerçant un contrôle rigoureux sur leur mode de vie, leur alimentation et leur entraînement. Cette quête de contrôle est essentielle pour atteindre les standards élevés de la musculation compétitive et pour réussir dans ce sport.
Les compétiteurs gèrent les impacts physiologiques, psychologiques et sociaux de leurs comportements en adoptant des approches disciplinées et structurées. Par exemple, ils justifient leurs comportements en soulignant que les périodes de comportements potentiellement néfastes pour la santé sont courtes et cycliques, et qu’elles n’ont pas d’impact négatif à long terme sur leur santé globale. De plus, ils utilisent les exigences du sport comme justification pour les sacrifices qu’ils font, tels que les régimes alimentaires stricts et les entraînements intensifs.
Expériences sociales
Les comportements des bodybuilders compétitifs entraînent souvent des défis sociaux. En dehors de leur communauté sportive, les athlètes reçoivent un soutien conditionnel, car leur apparence et leurs comportements peuvent dévier des normes sociales. Cependant, au sein de la communauté de musculation, ils bénéficient d’un soutien inconditionnel ou d’une compréhension unique de leurs choix et de leurs sacrifices.
En particulier, les bodybuilders soulignent que leur décision d’utiliser des substances améliorant l’image et la performance est souvent mal comprise et mal caractérisée par ceux qui sont extérieurs à la communauté de musculation. Ces substances sont vues comme un élément qui diminue leurs efforts, alors qu’en réalité, elles sont perçues par les athlètes comme une partie intégrante et nécessaire de leur parcours compétitif.
Équilibre décisionnel (“Ce que j’en retire”)
Le cadre “Ce que j’en retire” explore le processus de pondération des avantages et des inconvénients de la participation à la musculation compétitive. En général, les bodybuilders compétitifs estiment que les aspects positifs de la participation à ce sport, tels que la satisfaction personnelle, la découverte de soi et l’amélioration physique, l’emportent sur les aspects négatifs, tels que les sacrifices personnels et les risques pour la santé.
Les athlètes vivent souvent la participation à la musculation compétitive comme un processus thérapeutique et épanouissant qui améliore leur qualité de vie globale. Cette perception positive les pousse à continuer à participer à ce sport, malgré les défis et les sacrifices qu’il implique.
Conclusion
L’étude de Willmott et al. offre une compréhension approfondie des motivations, comportements et expériences des bodybuilders compétitifs. Elle met en lumière les nombreuses raisons pour lesquelles les athlètes choisissent de s’engager dans ce sport exigeant et comment ils rationalisent et gèrent leurs choix. Cette analyse est précieuse pour les coachs, les athlètes et les chercheurs intéressés par la musculation compétitive.
Pour les coachs et les athlètes, cette étude souligne l’importance de comprendre les motivations profondes des bodybuilders. Cette compréhension peut aider à mieux accompagner les athlètes, à les motiver et à les soutenir dans leurs parcours. Elle peut également informer les stratégies de prévention et de traitement des comportements potentiellement nocifs.
Enfin, pour tous ceux qui s’intéressent à la musculation compétitive, je recommande vivement de lire la revue scientifique originale pour obtenir une compréhension encore plus détaillée et nuancée des expériences des bodybuilders. La recherche future devrait continuer à explorer ces perspectives variées pour offrir une vision plus complète et équilibrée de ce sport fascinant.
Liste des Références Scientifiques
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L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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