Introduction
Lorsqu’il s’agit de périodes de restriction calorique, souvent appelées phases de “cutting” dans le jargon du fitness, les athlètes et pratiquants de musculation sont confrontés à un défi majeur : perdre de la masse grasse tout en préservant au maximum la masse musculaire maigre.
La masse musculaire est un élément clé pour la force, l’endurance, et le métabolisme de base. En perdant cette masse, non seulement l’apparence physique peut en souffrir, mais les performances athlétiques peuvent également diminuer, ce qui compromet les objectifs à long terme des athlètes. C’est pourquoi la question de savoir comment préserver cette masse musculaire maigre lors d’une phase de déficit calorique est cruciale pour les pratiquants de musculation.
Est-il préférable de réduire, maintenir ou augmenter le volume d’entraînement pendant une période de restriction calorique pour préserver la masse musculaire ? Beaucoup de pratiquants choisissent instinctivement de réduire le volume d’entraînement pour compenser la baisse d’énergie et améliorer la récupération, espérant ainsi rendre leur programme plus efficace et durable. Cependant, est-ce vraiment la meilleure approche ? Jusqu’à récemment, il existait peu de preuves scientifiques claires pour orienter cette décision.
L’étude de Roth et al. (2022) vient répondre à cette interrogation en explorant l’effet des variations du volume d’entraînement sur la rétention de la masse musculaire maigre lors de phases de restriction calorique.
Objectifs et hypothèses
Objectif de l’étude
L’objectif de l’étude menée par Roth et ses collègues était de déterminer si le maintien ou l’augmentation du volume d’entraînement en période de restriction calorique favorise la rétention de la masse maigre chez les athlètes pratiquant la musculation. Plus précisément, l’étude visait à explorer l’impact des changements relatifs du volume d’entraînement, c’est-à-dire l’augmentation ou la réduction du volume par rapport au niveau de départ, sur la conservation de la masse musculaire.
Cette recherche est particulièrement pertinente dans un contexte où les preuves directes manquent pour guider les pratiquants de musculation dans leurs choix d’entraînement lors des phases de déficit calorique. Elle offre un éclairage précieux sur la manière dont le volume d’entraînement peut être ajusté pour optimiser les résultats, en tenant compte des différences potentielles entre les sexes.
Hypothèses
Bien que l’étude de Roth et al. ne formule pas explicitement d’hypothèse, elle repose sur une théorie bien établie selon laquelle le volume d’entraînement est un stimulus anabolique majeur pour l’hypertrophie musculaire. Cette théorie suggère qu’un volume d’entraînement plus élevé pourrait être bénéfique pour la rétention de la masse musculaire maigre, même en période de restriction calorique.
L’idée sous-jacente est que, même en cas de déficit énergétique, un volume d’entraînement suffisant pourrait maintenir les processus anaboliques en jeu, aidant ainsi à préserver la masse musculaire. Inversement, une réduction du volume d’entraînement pourrait réduire ces stimuli anaboliques, augmentant ainsi le risque de perte de masse musculaire. Ce raisonnement s’appuie sur des études antérieures qui ont démontré que des volumes d’entraînement plus élevés sont généralement associés à une plus grande hypertrophie musculaire en conditions d’équilibre énergétique ou de surplus calorique .
Cependant, les auteurs reconnaissent également les limites de cette approche théorique, notamment en raison du manque de preuves directes et de la variabilité des réponses individuelles. Ils soulignent l’importance de recherches futures pour valider cette hypothèse et fournir des recommandations plus précises aux athlètes et aux entraîneurs.
Méthodologie
Revue systématique
L’étude de Roth et al. (2022) est une revue systématique, bien que ce terme ne soit pas explicitement utilisé par les auteurs. Une revue systématique est une méthode rigoureuse utilisée pour synthétiser les résultats de plusieurs études afin de répondre à une question de recherche spécifique. Contrairement à une méta-analyse qui combine statistiquement les résultats, une revue systématique examine et évalue qualitativement les études sélectionnées pour identifier des tendances et des conclusions générales.
Dans cette étude, les auteurs ont effectué une recherche systématique de la littérature scientifique pour identifier toutes les études pertinentes publiées entre 1990 et décembre 2020. Ils se sont concentrés sur les études qui évaluaient les effets de différents niveaux de volume d’entraînement sur les changements de masse musculaire maigre lors de phases de restriction calorique chez des individus en bonne santé, sans usage de substances dopantes, et pratiquant régulièrement la musculation.
Recherche et sélection des études
Les critères d’inclusion des études étaient stricts pour garantir que les résultats soient applicables aux athlètes en musculation. Les études devaient inclure des participants en bonne santé, sans usage de drogues, et avec une expérience préalable en musculation. La durée minimale des études devait être de quatre semaines, avec un déficit calorique d’au moins 200 kcal par jour et un régime riche en protéines (≥2,0 g/kg de masse maigre).
Les études incluses devaient également fournir des données pré- et post-intervention sur les changements de masse musculaire maigre et rapporter des informations détaillées sur les variables d’entraînement en résistance utilisées. Cependant, il est important de noter que les critères d’inclusion pour la quantification du volume d’entraînement n’étaient pas particulièrement stricts, ce qui a entraîné une certaine hétérogénéité dans les études sélectionnées.
Le processus de recherche a abouti à la sélection de 15 études, dont 8 études de cas. Les auteurs ont résumé ces études dans un tableau détaillant les méthodes, la durée de l’étude, les changements de composition corporelle, l’apport en protéines, les variables du programme d’entraînement en résistance, et le déficit énergétique estimé. De plus, les auteurs ont utilisé l’échelle PEDro, un outil couramment utilisé pour évaluer la qualité méthodologique des études cliniques, pour évaluer la qualité des études incluses.
Limites méthodologiques
L’une des principales limites méthodologiques de cette revue systématique est l’hétérogénéité des études incluses. Les études variaient considérablement en termes de méthodologie, de population étudiée, de conception de l’étude, et de variables d’entraînement en résistance. Par exemple, certaines études n’ont pas fourni d’informations claires sur la manière dont le volume d’entraînement était quantifié, rendant difficile toute comparaison directe entre les études.
De plus, l’étude n’a pas inclus de méta-analyse, ce qui signifie que les données n’ont pas été combinées statistiquement pour calculer un effet global. Au lieu de cela, les auteurs ont évalué qualitativement les tendances et les schémas observés dans les études sélectionnées. Cette approche, bien que valide, limite la force des conclusions pouvant être tirées de la revue.
Enfin, il est important de noter que les critères d’inclusion n’étaient pas toujours définis de manière rigoureuse, en particulier en ce qui concerne la définition du “volume d’entraînement”. Cette absence de définition claire pourrait avoir introduit des biais et des erreurs dans l’interprétation des résultats.
Résultats
Synthèse des résultats
L’analyse de la littérature effectuée par Roth et al. a permis de mettre en lumière plusieurs points clés concernant l’effet du volume d’entraînement sur la rétention de la masse maigre pendant une période de restriction calorique. Les femmes semblaient mieux conserver leur masse maigre avec un programme à volume élevé par rapport aux hommes, une observation particulièrement intéressante qui pourrait être liée à des différences hormonales ou métaboliques entre les sexes.
Les résultats ont également montré que, bien que les données penchent en faveur des programmes à volume élevé pour préserver la masse maigre, les preuves étaient insuffisantes pour tirer des conclusions définitives. Cette observation est particulièrement pertinente dans le contexte des programmes d’entraînement en musculation, où les variations de volume sont souvent utilisées pour ajuster l’intensité et l’efficacité de l’entraînement en fonction des objectifs spécifiques de chaque phase, comme la prise de masse ou la perte de graisse.
Observations spécifiques
Les auteurs ont noté que la réduction active du volume d’entraînement pendant une période de restriction calorique pouvait conduire à une plus grande perte de masse maigre, tandis qu’une augmentation du volume d’entraînement pourrait favoriser une meilleure rétention de cette masse maigre. Cependant, ils ont également souligné que ces conclusions reposent sur des données corrélationnelles, ce qui empêche d’établir des relations de cause à effet robustes.
Une observation particulièrement intéressante concerne l’effet du volume d’entraînement sur les femmes. Les femmes participant à des programmes à volume élevé ont montré une rétention de masse maigre nettement meilleure que les hommes, ce qui suggère que les femmes pourraient bénéficier de stratégies d’entraînement différentes ou adaptées par rapport aux hommes lors de phases de restriction calorique. Cette différence pourrait être liée à des facteurs tels que les différences hormonales, la réponse au stress de l’entraînement, ou encore la manière dont les femmes mobilisent et utilisent les réserves d’énergie.
Les résultats de l’étude sont représentés par plusieurs figures et tableaux qui illustrent les changements de masse maigre observés dans les études incluses.
Il est important de noter que ces figures montrent une distinction claire entre les résultats pour les femmes et ceux pour les hommes, avec les femmes tendant à mieux conserver leur masse maigre avec un volume d’entraînement plus élevé. Cependant, ces observations doivent être interprétées avec prudence en raison des variations méthodologiques entre les études, notamment en ce qui concerne la quantification du volume d’entraînement et les critères d’inclusion des participants.
Discussion
Interprétation des résultats
L’une des conclusions majeures de l’étude de Roth et al. est que les données actuelles ne permettent pas de conclure de manière définitive sur l’effet du volume d’entraînement sur la rétention de la masse maigre pendant une restriction calorique. L’insuffisance des preuves directes et la variabilité des résultats entre les études rendent toute conclusion généralisable difficile.
Cependant, les auteurs suggèrent que, dans certains cas, augmenter le volume d’entraînement pourrait potentiellement aider à préserver la masse musculaire. Cette conclusion est en accord avec d’autres recherches qui montrent que le volume d’entraînement est un facteur clé pour l’hypertrophie et la rétention musculaire, même en période de déficit calorique. Toutefois, en raison des limitations méthodologiques et des différences entre les études, ces résultats doivent être pris avec précaution.
Comparaison avec d’autres études
La revue de Roth et al. s’aligne avec certaines études antérieures, mais diverge également sur plusieurs points clés. Par exemple, une étude de Schoenfeld et al. (2014) a montré que des volumes d’entraînement plus élevés étaient associés à une plus grande hypertrophie musculaire, même en l’absence de déficit calorique. Cependant, l’effet de ces volumes élevés en situation de restriction calorique reste moins clair.
Une autre étude pertinente, celle de Campbell et al. (2020), a examiné l’effet d’une restriction énergétique intermittente et a conclu que cette approche pouvait atténuer la perte de masse maigre chez les individus pratiquant la musculation. Ces résultats suggèrent que des stratégies d’entraînement et nutritionnelles spécifiques, comme le maintien d’un volume d’entraînement modéré à élevé, peuvent être bénéfiques pour la rétention de la masse musculaire maigre en période de restriction calorique.
Réflexion critique
En analysant les résultats de Roth et al., il devient évident que les limitations méthodologiques de l’étude, notamment l’hétérogénéité des études incluses, limitent la portée des conclusions. De plus, l’absence de méta-analyse empêche de quantifier précisément l’effet du volume d’entraînement sur la rétention de la masse maigre, ce qui est une limitation majeure de cette revue systématique.
Une autre critique importante concerne la définition floue du “volume d’entraînement réduit”. Dans plusieurs études incluses, la réduction du volume d’entraînement n’était pas clairement définie, ce qui complique l’interprétation des résultats. Par exemple, certaines études ont utilisé des périodes de “deload” (réduction temporaire du volume pour faciliter la récupération), ce qui pourrait ne pas refléter une réelle réduction du volume d’entraînement par rapport à un programme normal.
Applications pratiques
Recommandations pour les pratiquants
Pour les pratiquants de musculation, la gestion du volume d’entraînement pendant une phase de restriction calorique est cruciale pour maximiser la rétention de la masse musculaire. Sur la base des résultats de Roth et al., il semble que maintenir un volume d’entraînement modéré à élevé pourrait être bénéfique, en particulier pour les femmes.
Toutefois, il est important de ne pas faire de changements drastiques sans évaluation continue. Réduire trop fortement le volume d’entraînement pourrait entraîner une perte significative de masse maigre, surtout en période de déficit énergétique sévère. À l’inverse, maintenir un volume trop élevé pourrait compromettre la récupération, surtout si les apports caloriques sont très limités.
Adaptation en fonction des réponses individuelles
Il est essentiel de souligner que les réponses à l’entraînement peuvent varier considérablement d’un individu à l’autre. Certains athlètes peuvent bien tolérer un volume d’entraînement élevé même en période de restriction calorique, tandis que d’autres pourraient bénéficier de réductions de volume pour améliorer la récupération et maintenir les performances. Il est donc recommandé de personnaliser les programmes d’entraînement en fonction des besoins et des réponses individuelles.
Les pratiquants devraient surveiller de près leur performance et leur récupération tout au long de leur phase de restriction calorique. Si des signes “anormaux” apparaissent, comme une diminution des performances ou une fatigue persistante, il pourrait être nécessaire de réduire le volume d’entraînement.
Conclusion
En conclusion, l’étude de Roth et al. (2022) met en lumière les défis et les incertitudes liés à la gestion du volume d’entraînement pendant les phases de restriction calorique. Bien que des volumes d’entraînement élevés puissent favoriser la rétention de la masse musculaire, surtout chez les femmes, les preuves actuelles sont insuffisantes pour tirer des conclusions définitives. Il est essentiel de prendre en compte les limitations méthodologiques de l’étude et de continuer à adapter les programmes d’entraînement en fonction des réponses individuelles.
Pour mieux répondre à cette question cruciale, des recherches futures sont nécessaires pour explorer directement l’effet des variations du volume d’entraînement sur la rétention de la masse musculaire pendant des phases de restriction calorique. Des études bien conçues, avec des définitions claires des variables d’entraînement et une méthodologie rigoureuse, sont indispensables pour fournir des recommandations plus précises aux athlètes et aux entraîneurs.
En attendant des preuves plus solides, les pratiquants de musculation devraient rester prudents et adapter leur programme d’entraînement en fonction de leurs propres réponses. La personnalisation et l’écoute des signaux du corps sont essentielles pour maximiser les résultats pendant les phases de restriction calorique, tout en minimisant les risques de perte de masse musculaire.
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L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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