Introduction
L’autorégulation dans l’entraînement en musculation et en force a été largement explorée ces dernières années, notamment pour optimiser les adaptations en hypertrophie et en performance. L’idée centrale de l’autorégulation repose sur l’ajustement dynamique des variables d’entraînement (charge, volume, intensité) en fonction de l’état de récupération et des sensations du pratiquant. De nombreux athlètes et entraîneurs considèrent cette approche comme un moyen d’optimiser les gains musculaires et de minimiser le risque de fatigue excessive ou de stagnation. Toutefois, les preuves scientifiques de son efficacité restent mitigées.
L’étude de Bartolomei et al. (2024) s’est intéressée à l’application de l’autorégulation dans un contexte de périodisation mixte, une approche qui combine au sein d’une même séance des exercices à dominante hypertrophique, de force et de puissance. Ce type de programmation est souvent privilégié par les athlètes de force, car il permet de développer simultanément plusieurs qualités physiques essentielles. L’objectif de cette étude était de comparer les adaptations obtenues avec une approche d’entraînement fixe à celles obtenues avec une méthode flexible où les volumes d’entraînement étaient ajustés en fonction des sensations de récupération des participants.
Si l’autorégulation a montré des bénéfices dans certains contextes, notamment dans la modulation des charges d’entraînement par le biais de la vitesse de déplacement ou des répétitions en réserve (RIR), son impact sur la progression en hypertrophie et en force dans un programme à structure mixte n’avait pas encore été clairement établi. L’intérêt de cette étude réside donc dans son approche expérimentale qui permet d’évaluer si une régulation individualisée du volume d’entraînement peut réellement améliorer les adaptations musculaires et neuromusculaires par rapport à une planification fixe.
Objectifs de l’étude
Objectif principal
L’objectif principal de cette étude était de déterminer si l’ajustement flexible du volume d’entraînement en fonction de la récupération perçue permettait d’obtenir de meilleures adaptations en hypertrophie, en force et en puissance qu’un programme de volume fixe. Plus précisément, les chercheurs ont analysé si la capacité des athlètes à ajuster leur volume d’entraînement entraînait une amélioration significative des gains en épaisseur musculaire, en force maximale sur le squat et le développé couché, ainsi qu’en puissance sur un test de lancer de barre.
Objectifs secondaires
En complément, l’étude a exploré plusieurs aspects spécifiques pour mieux comprendre les interactions entre l’autorégulation et la performance. L’un des objectifs secondaires était d’évaluer l’impact du volume d’entraînement total sur les gains musculaires et en force, afin de vérifier si l’augmentation des séries réalisées par le groupe flexible se traduisait réellement par des bénéfices supplémentaires. Un autre point d’analyse concernait l’efficacité perçue de l’autorégulation, en examinant si les participants ressentaient un meilleur contrôle de leur entraînement et une meilleure adaptation à la charge de travail. Enfin, les chercheurs ont étudié les corrélations entre les scores de récupération perçue et les performances finales, afin d’évaluer si une meilleure gestion de la fatigue influait positivement sur les résultats.
Méthodologie
Participants et critères de sélection
L’étude a été réalisée sur un échantillon de 24 hommes entraînés, tous pratiquant la musculation ou un sport de force (powerlifting, haltérophilie, lutte) depuis au moins trois ans et s’entraînant au minimum trois fois par semaine. Parmi ces participants, on retrouvait trois powerlifters, deux haltérophiles et quatre lutteurs, ce qui permettait d’analyser l’efficacité de l’autorégulation chez des athlètes habitués à travailler sous charge lourde.
Les caractéristiques physiques des participants étaient les suivantes :
- Âge moyen : 29,4 ± 5,6 ans
- Taille moyenne : 1,78 ± 0,07 m
- Poids moyen : 88,7 ± 12,5 kg
- Squat 1RM moyen : 190,2 ± 30,3 kg
- Développé couché 1RM moyen : 125,5 ± 20,4 kg
L’inclusion de pratiquants expérimentés permettait d’éliminer l’effet des gains initiaux rapides observés chez les débutants, garantissant ainsi une analyse plus fiable des effets de l’autorégulation sur des performances déjà bien développées.
Programme d’entraînement
Les participants ont suivi un programme d’entraînement structuré sur 10 semaines, avec cinq séances hebdomadaires réparties selon une approche de périodisation mixte. Chaque séance combinait des exercices à dominante hypertrophique (4-8 répétitions), force maximale (1-3 répétitions) et puissance (mouvements explosifs).
Deux groupes ont été constitués :
- Groupe fixe : volume d’entraînement planifié à l’avance et identique pour tous les participants.
- Groupe flexible : ajustement du nombre de séries en fonction d’un score de récupération perçue (PRS) mesuré avant chaque séance.
Les critères d’ajustement du volume pour le groupe flexible étaient les suivants :
- PRS ≥ 7 : ajout de 1 à 2 séries par exercice.
- PRS = 5-6 : maintien du volume prévu.
- PRS ≤ 4 : réduction de 1 à 2 séries par exercice.
Il est important de noter que les exercices de puissance n’étaient pas affectés par ces ajustements afin de garantir une stimulation uniforme des filières énergétiques.
Mesures et analyses
L’analyse des performances et des adaptations s’est appuyée sur plusieurs outils de mesure :
- Composition corporelle : Mesurée via échographie pour évaluer l’évolution de l’épaisseur musculaire du quadriceps.
- Force maximale : 1RM évalué en squat et développé couché avant et après les 10 semaines.
- Puissance : Test de lancer de barre (bench throw) pour mesurer la vitesse de projection d’une charge standardisée.
- Volume total d’entraînement : Calculé en multipliant le nombre de séries réalisées par la charge totale déplacée.
Résultats
Évolution de la composition corporelle et de la masse musculaire
L’une des principales attentes de cette étude était de déterminer si l’autorégulation du volume pouvait générer une hypertrophie musculaire plus marquée. À la fin des 10 semaines, les analyses échographiques ont révélé une augmentation significative de l’épaisseur du quadriceps dans les deux groupes. Chez les participants du groupe à volume fixe, l’épaisseur du quadriceps a augmenté de +5,2 ± 1,8 %, tandis que dans le groupe flexible, l’augmentation était légèrement supérieure avec +5,7 ± 2,1 %. Cependant, cette différence entre groupes n’était pas statistiquement significative (p = 0,38), ce qui indique que le volume d’entraînement ajusté selon la récupération perçue n’a pas apporté de bénéfice notable en termes d’hypertrophie musculaire.

En parallèle, les participants des deux groupes ont maintenu un niveau de masse grasse relativement stable, avec une légère diminution non significative (-0,4 à -0,7 % de masse grasse), suggérant que les gains en volume musculaire ne se sont pas accompagnés d’une prise de graisse.
Gains de force maximale
L’évaluation des gains de force s’est basée sur les performances en 1RM au squat et au développé couché. Après 10 semaines, les résultats ont montré des améliorations similaires entre les deux groupes :
- Squat 1RM : +8,1 % dans le groupe fixe contre +8,4 % dans le groupe flexible (p = 0,41).
- Développé couché 1RM : +6,9 % dans le groupe fixe contre +7,2 % dans le groupe flexible (p = 0,36).

L’absence de différence statistique suggère que l’autorégulation du volume n’a pas permis d’améliorer significativement les gains de force par rapport à un programme à volume fixe.
Fait intéressant, le test de force isométrique sur banc de développé couché a révélé une tendance à la supériorité pour le groupe flexible, avec une augmentation de +9,0 % contre +0,5 % dans le groupe fixe (p = 0,062). Ce résultat suggère que l’autorégulation pourrait potentiellement influencer certains paramètres neuromusculaires spécifiques, bien que la portée de cet effet reste limitée.
Puissance et performance en test de lancer de barre
Le test de lancer de barre (bench throw), utilisé pour mesurer la puissance, n’a pas révélé d’amélioration significative entre les deux groupes. L’augmentation moyenne de la vitesse de projection de la charge était respectivement de +4,2 % et +4,5 % dans les groupes fixe et flexible (p = 0,53). Ces résultats montrent que l’ajustement du volume d’entraînement ne semble pas influencer directement les gains de puissance explosive, du moins dans un protocole de 10 semaines.
Volume total d’entraînement et perception de la récupération
Comme prévu, les participants du groupe flexible ont réalisé un volume d’entraînement significativement plus élevé en raison de l’ajout ponctuel de séries les jours où ils se sentaient mieux récupérés. En moyenne, le volume total était supérieur de +7,9 % dans le groupe flexible (8 519 ± 901 répétitions contre 7 893 ± 268 répétitions, p < 0,01).
Cependant, cette augmentation du volume n’a pas conduit à des gains significatifs supplémentaires en hypertrophie ou en force. Par ailleurs, les scores de récupération perçue n’étaient pas systématiquement corrélés avec les performances finales, ce qui remet en question la capacité des athlètes à estimer avec précision leur état de récupération pour ajuster leur volume de manière optimale.
Discussion
Lien entre hypertrophie et volume d’entraînement : une relation non linéaire
Les résultats obtenus dans cette étude suggèrent que l’augmentation du volume d’entraînement ne garantit pas nécessairement de meilleurs gains musculaires. Malgré un volume supérieur dans le groupe flexible, les adaptations en hypertrophie et en force sont restées similaires à celles du groupe à volume fixe. Ces résultats corroborent certaines recherches antérieures indiquant qu’un seuil de volume optimal existe, au-delà duquel des augmentations supplémentaires ne génèrent plus d’effets proportionnels.
L’absence de différence significative entre les groupes pourrait être due au fait que le volume initialement prescrit était déjà suffisant pour maximiser la stimulation musculaire. En d’autres termes, si un volume de 7 000 à 8 000 répétitions est suffisant pour optimiser la croissance musculaire, rajouter quelques centaines de répétitions supplémentaires n’apporte pas nécessairement un bénéfice notable.
L’autorégulation en musculation : utile, mais dans quels contextes ?
L’étude met en évidence une absence de bénéfice net de l’autorégulation du volume dans un programme structuré et équilibré. Cela signifie que pour des athlètes bien entraînés, suivant une programmation bien calibrée, l’ajustement flexible du volume ne semble pas nécessaire.
Cependant, il est important de noter que l’autorégulation reste une stratégie pertinente dans des contextes spécifiques :
- Lors de périodes de forte accumulation de fatigue, comme dans des cycles d’entraînement à haut volume ou en phase d’accumulation avant une compétition.
- Pour les athlètes soumis à des contraintes externes importantes (fatigue, stress professionnel ou personnel) qui influencent leur capacité de récupération.
- Dans des protocoles plus longs : sur 10 semaines, il est possible que l’adaptation du volume n’ait pas eu le temps de produire un effet distinct.
Ainsi, l’autorégulation ne devrait pas être utilisée de manière systématique, mais plutôt comme un outil d’adaptation dans des phases spécifiques de l’entraînement.
Implications pour l’entraînement
Ces résultats soulignent plusieurs points clés pour la programmation de l’entraînement en force et en hypertrophie :
- Maintenir un volume d’entraînement adéquat semble plus important que de l’ajuster au jour le jour. Tant que le volume est suffisant, il n’est pas indispensable de le moduler de manière flexible.
- L’autorégulation peut être utile lors de cycles de forte fatigue ou pour des athlètes en période de surcharge, mais son application quotidienne dans un programme équilibré semble superflue.
- L’entraînement basé sur la perception de la récupération n’est pas infaillible : la capacité des athlètes à estimer précisément leur état de récupération et à ajuster leur entraînement en conséquence est parfois limitée.
Conclusion
L’étude de Bartolomei et al. (2024) apporte des éclairages intéressants sur l’autorégulation du volume d’entraînement dans un programme de musculation à périodisation mixte. Contrairement à certaines attentes, l’ajustement flexible du volume ne s’est pas traduit par des gains supérieurs en hypertrophie ou en force.
Ces résultats suggèrent que le volume d’entraînement doit être planifié de manière cohérente dès le départ, sans qu’il soit nécessaire de l’ajuster systématiquement en fonction de la récupération perçue. L’autorégulation reste cependant une approche pertinente dans certains contextes, notamment lors de cycles de forte intensité ou pour les athlètes confrontés à des facteurs de fatigue externes.
Enfin, cette étude pose également la question de la fiabilité des méthodes de récupération perçue et leur réelle utilité dans l’optimisation de la programmation d’entraînement. A l’avenir, des recherches intégrant des métriques plus objectives (comme la mesure de la variabilité de la fréquence cardiaque ou les tests de performance en saut) pourraient permettre d’affiner l’utilisation de l’autorégulation dans les programmes de musculation et de force.
En conclusion, l’autorégulation du volume est un outil intéressant, mais son application ne doit pas être systématique : bien calibrer son volume dès le départ et s’y tenir reste, à ce jour, une stratégie tout aussi efficace pour progresser en hypertrophie et en force.
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L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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