Baisse de performance ? Pensez au déficit énergétique avant de blâmer l’entraînement

Table des matières

Introduction

La disponibilité énergétique faible (Low Energy Availability ou LEA) est un état dans lequel l’apport énergétique est insuffisant pour répondre aux besoins physiologiques d’un individu, une fois l’énergie dépensée pendant l’exercice soustraite. Ce phénomène peut être intentionnel ou involontaire et touche particulièrement les athlètes d’endurance, notamment les femmes. S’il est prolongé, il peut entraîner une cascade d’effets délétères sur la santé : troubles hormonaux, altérations de la densité osseuse, dysfonctionnements métaboliques et baisses de performance. Cependant, tous les épisodes de LEA ne mènent pas à ces extrêmes. Une récente position du Comité International Olympique distingue entre LEA « adaptable » et LEA « problématique » – la première étant transitoire et réversible, la seconde conduisant à un état de fatigue chronique et de dysfonctionnements durables.

Dans ce contexte, l’étude de Caldwell et Jeppesen et al. (2024) explore l’impact de 14 jours de LEA très contrôlée chez des athlètes féminines entraînées, suivis de 3 jours de réalimentation. L’objectif : évaluer les effets de cette restriction énergétique sur la performance, la composition corporelle, la fonction mitochondriale musculaire et l’utilisation des substrats énergétiques.

Objectifs de l’étude

L’étude visait à :

  • Comparer les effets de 14 jours de LEA (22 kcal/kg de masse maigre/jour) à ceux d’une disponibilité énergétique optimale (OEA : 52 kcal/kg FFM/jour) sur la performance d’endurance, l’oxydation des substrats, la fonction mitochondriale musculaire et les hormones sexuelles féminines.
  • Déterminer si une période de réalimentation de 3 jours permettait de restaurer les marqueurs physiologiques et les performances.

Méthodologie

Participants

Douze femmes, âgées de 18 à 40 ans, pratiquant au moins 6 heures d’endurance par semaine (course, cyclisme, natation), avec un VO2max moyen de 55,2 ± 5,1 ml/kg/min, ont été incluses. Aucune ne présentait de trouble du comportement alimentaire ou de LEA chronique.

Design de l’étude

Chaque participante a complété deux conditions en cross-over, séparées par une période de « wash-out » de 11 jours :

  • Condition OEA : 52 kcal/kg FFM/jour pendant 14 jours.
  • Condition LEA : 22 kcal/kg FFM/jour pendant 14 jours.

À la suite de chaque phase, une période de réalimentation de 3 jours à 52 kcal/kg FFM/jour a été mise en place. Les performances (temps à l’épuisement, puissance sur effort submaximal) et marqueurs physiologiques ont été évalués avant, à mi-parcours, à la fin, et après réalimentation.

Les participantes maintenaient une charge d’entraînement constante (~8,5 h/semaine à 79% HR max), et tous les repas étaient fournis, pesés au gramme près, avec une ingestion contrôlée pour garantir la précision du protocole.

Résultats

Composition corporelle et métabolisme de repos

La restriction énergétique a conduit à des modifications corporelles rapides et significatives. Après 14 jours de LEA, les participantes ont perdu en moyenne 2,6 kg de masse totale (soit -4,1 %), comparativement à 0,7 kg en condition OEA (-1,1 %). Ce déficit s’est accompagné d’une réduction nette de la masse maigre et d’une diminution de la masse grasse, sans atteinte pathologique. Après les 3 jours de réalimentation, 0,7 kg étaient repris en moyenne, en majorité sous forme de masse maigre.

Le métabolisme de repos (RMR) a chuté de manière significative dans les deux conditions : -10,3 % en LEA et -12,3 % en OEA, sans différence significative entre les groupes (p = 0,630). Cette baisse, relativement inattendue en OEA, pourrait s’expliquer par des adaptations transitoires aux régimes stricts et à la standardisation alimentaire.

Performances physiques

La puissance moyenne produite lors du test de cyclisme submaximal de 20 minutes a diminué de 7,8 % entre J1 et J14 en LEA, passant de 169 W ± 21 à 155 W ± 18. Après 3 jours de réalimentation, cette puissance restait encore réduite à 158 W ± 17 (soit -6,7 % par rapport à la ligne de base), alors qu’elle restait stable dans la condition OEA (variation < 1 %).

Concernant le test temps à l’épuisement à 100 % VO2max, les participantes ont vu leur performance baisser de 18,9 % en LEA (de 406 s ± 75 à 329 s ± 69). Après réalimentation, la durée remontait à 395 s ± 70, proche de la valeur initiale. Dans la condition OEA, aucune variation significative n’a été observée à aucun temps.

Oxydation des substrats et métabolisme énergétique

Les adaptations métaboliques ont été marquées sous LEA :

  • Oxydation des lipides au repos : augmentation de +28,2 % en LEA (passant de 0,45 à 0,58 g/min).
  • Oxydation des glucides au repos : chute de -52,9 % (de 0,36 à 0,17 g/min).
  • RER pendant l’exercice submaximal : diminution de 0,88 à 0,86, signalant un basculement vers l’usage des graisses. Cette valeur est revenue à 0,88 après réalimentation.
  • Pendant l’exercice : augmentation de l’oxydation lipidique (+0,06 g/min) et diminution de l’oxydation glucidique (-0,15 g/min), avec un retour à l’état initial après réalimentation.

Marqueurs musculaires et hormonaux

Les réserves de glycogène musculaire sont restées stables tout au long de l’étude (environ 430 mmol/kg sec), sans différence entre les conditions ni variation significative dans le temps. De même, la respiration mitochondriale musculaire (OXPHOS, complexes I et II) et l’expression des protéines mitochondriales n’ont pas été affectées, traduisant une préservation de la capacité de production d’ATP.

Les concentrations hormonales sont demeurées stables, à l’exception d’une élévation modérée de la testostérone en OEA (de 0,97 à 1,23 nmol/L), sans variation significative inter-condition. Estradiol, FSH, LH et SHBG n’ont montré aucune fluctuation.

Discussion et interprétation

Cette étude montre qu’une période courte de LEA (14 jours) suffit à induire des altérations mesurables de la performance chez les athlètes féminines, en l’absence même de perturbations hormonales ou métaboliques profondes. La baisse de la puissance submaximale et du temps à l’épuisement est significative, traduisant une altération de l’efficience énergétique, sans pour autant impliquer une dégradation structurelle du métabolisme musculaire.

Le fait que la glycémie, le glycogène musculaire, la fonction mitochondriale et les taux hormonaux restent stables montre que le corps cherche d’abord à ajuster l’utilisation des substrats plutôt qu’à engager des suppressions durables de fonctions vitales. Ces altérations sont donc réversibles avec une réalimentation adéquate sur une période brève.

Les données confirment ainsi l’existence d’une LEA adaptable, où les effets sont transitoires, opposée à une LEA problématique (RED-S), aux conséquences structurelles, hormonales et fonctionnelles plus profondes, nécessitant des mois de récupération.

Implications pratiques

Les résultats de cette étude fournissent des repères concrets pour l’encadrement des sportives d’endurance :

  • Durée et réversibilité : Une restriction énergétique courte (~14 jours), bien encadrée, peut induire une baisse de performance, mais les fonctions métaboliques essentielles sont préservées et l’impact est réversible. C’est un signal rassurant pour les phases transitoires de déficit énergétique volontaire.
  • Surveillance ciblée : La performance submaximale (ex : puissance sur 20 minutes) semble être un indicateur plus sensible que les tests maximaux à court terme. Elle pourrait être utilisée comme outil de détection précoce d’un déséquilibre énergétique.
  • Prévention du RED-S : La mise en place rapide d’une phase de réalimentation (≥3 jours) permet de restaurer les fonctions altérées. Cela souligne l’importance d’une gestion cyclique et flexible de l’alimentation dans les cycles d’entraînement.
  • Communication entraîneur-athlète : Le coach doit rester attentif aux signes subtils de fatigue, stagnation de performance ou variation d’humeur. Une baisse inexpliquée de la puissance ou de la tolérance à l’entraînement doit susciter une évaluation du statut énergétique.
  • Valorisation de la récupération : Enfin, ce travail confirme que même chez des athlètes entraînées, la récupération nutritionnelle sur quelques jours est un levier puissant de retour à la performance. Elle devrait être intégrée dans les stratégies de planification saisonnière au même titre que les phases d’entraînement intense.

Conclusion

L’étude de Caldwell et Jeppesen montre que la performance peut être impactée dès 14 jours de LEA, même avec un entraînement constant, mais que ces effets sont largement réversibles après 3 jours de réalimentation. Ce résultat soutient l’existence d’un spectre de la LEA, allant de l’état adaptable (ici observé) à l’état problématique. La clé pour les pratiquantes et leurs encadrants réside dans la prévention, la détection précoce et la réactivité nutritionnelle afin d’éviter des conséquences durables sur la santé et la performance

Liste des Références Scientifiques

L’étude complète

Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :

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