Introduction
Pourquoi les cheat meals, refeeds et diet breaks sont-ils si populaires chez les bodybuilders ? Ces approches nutritionnelles, souvent discutées sont supposées offrir des bénéfices physiologiques et psychologiques qui aident les athlètes à gérer les rigueurs d’un régime strict. Cependant, comme le révèle une étude récente de Moraes et al. (2024), ces pratiques ne sont pas sans risque. À trop vouloir s’offrir un écart, certains athlètes tombent dans le binge-eating, ou suralimentation incontrôlée, ce qui peut nuire à leur progression.
Dans cet article, nous explorerons en profondeur l’étude « Relation between Adaptive Eating and Energy Intake Coping Strategies in a Refeed Model for Bodybuilders ». Cette recherche a examiné comment les capacités à gérer les émotions et les comportements alimentaires influencent les apports caloriques lors de cheat meals au cours d’une phase de refeed. En vulgarisant les résultats et en fournissant des conseils pratiques, cet article vise à aider les athlètes et leurs entraîneurs à mieux comprendre et adapter ces stratégies.
Concepts clés : Cheat Meals, Refeeds et Diet Breaks
Définitions
Les « cheat meals » et les « refeeds » sont souvent utilisés de manière interchangeable, mais ils possèdent des différences fondamentales. Un cheat meal est un repas ad libitum où l’athlète peut consommer librement ce qu’il souhaite, souvent en dehors des restrictions de son régime. En revanche, un refeed est une période planifiée durant laquelle les calories sont augmentées à leur niveau de maintenance ou au-dessus, sur une durée d’un à trois jours. Les diet breaks, quant à eux, consistent en des pauses prolongées, parfois d’une ou deux semaines, pour alléger le stress d’un régime prolongé.
Différences entre ces stratégies
Alors que les cheat meals sont souvent motivés par le besoin d’une pause psychologique, les refeeds et diet breaks sont plus ciblés sur les bénéfices physiologiques. Parmi ces avantages, on cite la restauration des réserves de glycogène, la prévention de la perte musculaire et la réduction des effets de la thermogénèse adaptative(La thermogénèse adaptative est régulée par deux systèmes distincts et indépendants : l’un dépend de la balance énergétique, l’autre de la masse grasse (sa déplétion ou son recouvrement). La réalimentation supprime rapidement le premier contrôle mais le deuxième contrôle diminue lentement.
Cependant, l’étude de Moraes et al. (2024) révèle que ces stratégies peuvent entraîner des réactions très différentes selon les individus. Alors que certains en tirent des avantages, d’autres risquent d’entrer dans un cercle vicieux de suralimentation, suivi d’une restriction accrue qui peut déclencher des épisodes futurs de binge-eating (Linardon et al., 2023).
Enjeux physiologiques et psychologiques
Les bénéfices physiologiques de ces stratégies sont encore débattus. Une revue systématique (Poon et al., 2024) n’a pas trouvé de preuves solides que les refeeds améliorent la performance ou préviennent la perte de muscle. En revanche, les effets psychologiques, comme une meilleure adhérence au régime et une réduction de la fatigue mentale, sont mieux établis.
Objectifs et hypothèses de l’étude
But principal
L’étude de Moraes et al. (2024) avait pour objectif de déterminer si les pratiques de refeed pouvaient contribuer à une consommation énergétique adaptée chez les bodybuilders ayant des comportements alimentaires plus adaptatifs, comme l’alimentation intuitive et consciente.
Hypothèses de l’étude
Les chercheurs ont formulé deux hypothèses principales :
- Les bodybuilders capables d’adopter des pratiques alimentaires adaptatives, comme une alimentation intuitive (basée sur la conscience des signaux de faim et de satiété), consommeraient moins de calories pendant les cheat meals.
- Les athlètes ayant un niveau élevé de coping émotionnel (capacité à gérer leurs émotions face au stress) seraient moins enclins à des comportements alimentaires maladaptatifs, tels que le binge-eating.
Ces hypothèses s’appuient sur des observations antérieures dans la littérature. Par exemple, Tylka et Kroon Van Diest (2013) ont établi un lien entre l’alimentation intuitive et une meilleure régulation alimentaire. De plus, Linardon et al. (2023) ont montré que la capacité à gérer le stress émotionnel joue un rôle crucial dans la prévention des épisodes de suralimentation.
Méthodologie de l’étude
Participants
L’étude a été réalisée sur un échantillon de 14 bodybuilders masculins brésiliens compétitifs, recrutés via la fédération locale de bodybuilding. Ces participants avaient des critères stricts pour leur inclusion : ils devaient être âgés de 18 à 40 ans, avoir participé à au moins trois compétitions antérieures, être en cours de préparation pour une nouvelle compétition, et ne pas utiliser de substances affectant l’appétit (laxatifs, diurétiques ou coupe-faim).
Les caractéristiques des participants étaient les suivantes : âge moyen de 29,9 ± 1,2 ans, expérience moyenne de 10,5 ± 1,1 années d’entraînement, et un historique de participation à 6,6 ± 0,2 compétitions. Ces données montrent que l’échantillon se composait d’athlètes expérimentés, ce qui est essentiel pour interpréter les résultats dans un contexte de compétition avancée.
Design de l’étude
L’étude était observationnelle et visait à analyser les corrélations entre l’apport énergétique et les scores psychométriques. Les données ont été collectées pendant la dernière semaine de la phase hors saison des compétiteurs et les quatre premières semaines de la phase de préparation au concours. Les évaluations incluaient des mesures anthropométriques (taille, poids, épaisseur des plis cutanés par ultrasons) ainsi que des questionnaires psychométriques.
Avant le début du régime de préparation, les athlètes ont rempli les échelles BRUMS (Brunel Mood Scale) et REST-Q (Recovery Stress Questionnaire for Athletes). Après quatre semaines de régime, ils ont également complété les questionnaires MES 2 (Mindful Eating Scale 2), IES 2 (Intuitive Eating Scale 2) et CFQ (Coping Function Questionnaire). Ces outils ont permis d’évaluer leur humeur, leur récupération, leur perception alimentaire et leurs stratégies de gestion du stress.
Protocoles alimentaires et mesures
Pendant les jours de semaine, les participants suivaient un régime hypocalorique visant un déficit de 40 % de leurs besoins énergétiques. Pendant le week-end, ils consommaient un cheat meal ad libitum. Les chercheurs ont noté que ce repas était principalement composé de glucides pour maximiser la recharge glycogénique. L’apport calorique était mesuré quotidiennement, et les athlètes évaluaient leur niveau de faim sur une échelle de 0 à 10 avant chaque cheat meal.

Enfin, les chercheurs ont collecté des données sur les habitudes de sommeil, mais sans spécifications claires sur la fréquence ou la méthode de collecte, ce qui limite l’interprétation de ces résultats. Néanmoins, ces informations contribuent à un contexte plus large des variables susceptibles d’influencer les comportements alimentaires.
Résultats et interprétations
Apports caloriques et composition corporelle
Les résultats ont montré une augmentation significative de la consommation calorique pendant les jours de refeed par rapport aux jours de régime. En moyenne, l’apport calorique durant les jours de refeed était supérieur de 44 % à celui des jours de déficit. Les glucides constituaient environ 70 % des apports énergétiques supplémentaires, conformément à l’objectif de maximiser la recharge glycogénique.

Sur le plan de la composition corporelle, la majorité des athlètes (11 sur 14) ont réussi à préserver ou même augmenter leur masse musculaire pendant la période d’étude. Toutefois, tous sauf un ont perdu de la masse grasse, bien que les valeurs rapportées (passant de 7,3 % à 4 % de masse grasse en moyenne) aient soulevé des interrogations sur la précision des mesures, ces niveaux étant inhabituellement bas même pour des bodybuilders expérimentés.
Corrélations entre comportements alimentaires et apports caloriques
L’analyse des données a révélé des relations intéressantes entre les scores psychométriques et les apports caloriques :
- Hunger Perception : Une sensation de faim plus intense avant les cheat meals était fortement corrélée à une consommation calorique plus élevée (p < 0,01, ρ = -0,9).
- Intuitive Eating Scale (IES 2) : Les athlètes avec des scores élevés en alimentation intuitive consommaient significativement moins de calories pendant les cheat meals (p < 0,01, ρ = -0,82). Ce résultat s’explique par une meilleure confiance en leurs signaux de faim et de satiété ainsi qu’une prise de conscience accrue des besoins de leur corps. En particulier, les domaines de la confiance dans les signaux internes (ρ = -0,62) et de la congruence entre le corps et la nourriture (ρ = -0,56) étaient fortement liés à des apports caloriques modérés.
- Coping Fonctionnel (CFQ) : Les scores élevés en coping émotionnel, qui mesurent la capacité à gérer le stress émotionnel, étaient également associés à une consommation calorique plus faible (ρ = -0,40). Ces individus avaient une meilleure aptitude à rester dans des limites raisonnables pendant les cheat meals, même face à des situations stressantes.

Analyse et implications des résultats
Compréhension des corrélations
Les résultats de l’étude de Moraes et al. (2024) mettent en évidence des corrélations claires entre la capacité des athlètes à gérer leurs émotions, leur conscience alimentaire et leurs apports énergétiques. Une des conclusions majeures est que les bodybuilders ayant des scores élevés en alimentation intuitive (mesurée par l’IES 2) et une meilleure capacité de coping émotionnel consommaient moins de calories lors des cheat meals. Ces athlètes semblent mieux équipés pour adapter leurs comportements alimentaires en fonction des besoins de leur corps.
La capacité à interpréter correctement les signaux de faim et de satiété joue un rôle essentiel dans la modération des apports caloriques. Cette maîtrise permet d’éviter les épisodes de suralimentation souvent déclenchés par une faim excessive ou un stress mal géré. Les scores élevés en coping émotionnel indiquent également une meilleure résilience face au stress, ce qui se traduit par une consommation plus modérée pendant les jours de refeed.
Impact psychologique des cheat meals
L’étude montre que les cheat meals peuvent avoir des effets psychologiques variés selon les individus. Bien qu’ils offrent une pause mentale bénéfique pour certains athlètes, ils peuvent, pour d’autres, devenir une source d’anxiété et déclencher des épisodes de binge-eating. Ces résultats soulignent l’importance d’une approche personnalisée dans la gestion des stratégies de refeed.
Limites des bénéfices physiologiques
Malgré l’augmentation des apports énergétiques lors des jours de refeed, l’étude ne montre pas de preuves solides d’améliorations significatives des performances ou de la composition corporelle. Bien que la préservation de la masse musculaire soit observée, les résultats restent discutables, notamment en raison des valeurs extrêmes rapportées pour la masse grasse.
Applications pratiques pour les bodybuilders et leurs entraîneurs
Stratégies pour optimiser les cheat meals
- Évaluer les capacités émotionnelles et alimentaires : Avant d’intégrer des cheat meals ou refeeds, les entraîneurs devraient évaluer la capacité des athlètes à gérer leurs émotions et leurs signaux de faim.
- Favoriser l’alimentation intuitive : Encourager les athlètes à développer leur capacité à écouter leurs signaux corporels peut réduire les risques de suralimentation.
- Planifier les cheat meals : Définir des paramètres clairs pour les cheat meals (par exemple, des aliments spécifiques ou des quantités limites) peut aider à maintenir un contrôle.
Accompagnement psychologique
Les athlètes ayant des difficultés à gérer le stress émotionnel pourraient bénéficier d’un accompagnement par des professionnels (psychologues du sport ou nutritionnistes). Des techniques comme la pleine conscience ou les interventions basées sur l’interception (Palascha et al., 2021) se sont avérées efficaces pour améliorer la régulation alimentaire.
Individualisation des approches
Les stratégies de refeed ne conviennent pas à tous. Il est crucial de les adapter en fonction des caractéristiques psychologiques et physiologiques de chaque athlète.
Conclusion
L’étude de Moraes et al. (2024) met en évidence l’importance de facteurs psychologiques, tels que l’alimentation intuitive et la gestion émotionnelle, dans le succès des stratégies de cheat meals et de refeed chez les bodybuilders. Bien que ces pratiques puissent offrir des bénéfices psychologiques pour certains, elles nécessitent une approche individualisée pour éviter les effets indésirables, comme le binge-eating.
En fin de compte, les athlètes et leurs entraîneurs doivent adopter une démarche évaluative et flexible, en tenant compte des caractéristiques propres à chaque individu. En combinant une planification stratégique et un accompagnement approprié, les cheat meals et refeeds peuvent devenir des outils précieux pour optimiser la progression des bodybuilders, tant sur le plan physique que mental.
Liste des Références Scientifiques
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L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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