Introduction
Qu’est-ce qui motive un powerlifter à charger une barre, un marathonien à enfiler ses chaussures de course, ou un bodybuilder à s’entraîner devant un miroir ? À première vue, la réponse semble simple : ces actions découlent naturellement de leur identité. Pourtant, derrière cette apparente évidence se cache une mécanique psychologique complexe où l’identité joue un rôle crucial dans la régularité et l’engagement envers un comportement. Cette notion d’identité, qui reflète la manière dont un individu se perçoit, dépasse le simple cadre des passions ou des objectifs à court terme : elle s’inscrit au cœur de ce que nous faisons au quotidien.
Dans le domaine de la perte de poids, une idée souvent répétée est que le succès réside dans la modification des comportements. Et si cette idée, bien que pertinente, omettait un facteur clé ? Les comportements sont notoirement difficiles à transformer sur le long terme. Les études sur la perte de poids montrent des taux de succès impressionnants sur de courtes périodes, mais la durabilité de ces résultats reste problématique pour la majorité des participants (Wing & Hill, 2001). Les individus reviennent souvent à leurs habitudes antérieures, ce qui compromet leurs efforts.
C’est ici qu’une nouvelle piste de réflexion se dessine : et si l’identité était un levier stratégique pour soutenir ces changements comportementaux ? L’idée n’est pas uniquement de suivre un régime ou un programme d’exercices, mais plutôt de se percevoir comme une personne saine et active. En alignant son identité avec ses comportements, un individu pourrait être mieux armé pour maintenir ces habitudes à long terme, même lorsque la motivation fluctue.
Une étude récente menée par Caldwell et al. (2024), intitulée Psychometric Validation of Four-Item Exercise Identity and Healthy-Eater Identity Scales and Applications in Weight Loss Maintenance, explore cette notion en profondeur. Les chercheurs se sont concentrés sur la validation de deux outils psychométriques mesurant l’identité liée à l’exercice et à l’alimentation saine, tout en examinant comment ces identités influencent le succès dans la perte de poids. À travers cet article, nous analyserons les principaux résultats de cette étude et mettrons en lumière comment l’identité peut être utilisée comme moteur de changements durables.
Contexte et importance du sujet
L’identité ne se limite pas à un simple label ou à une définition statique de soi-même. Elle englobe un ensemble de comportements, de valeurs et de croyances qui façonnent nos actions au quotidien. Par exemple, se considérer comme une personne sportive ou soucieuse de son alimentation peut influencer de manière significative les décisions que nous prenons, comme aller à la salle de sport ou privilégier des aliments nutritifs. Cette idée, bien qu’intuitive, est appuyée par une littérature croissante qui montre que l’identité agit comme un moteur puissant de cohérence comportementale (Oyserman et al., 2007).
Dans le cadre de la perte de poids, le rôle de l’identité prend une importance particulière. Les taux de réussite à long terme pour les régimes ou programmes d’exercice sont souvent faibles, en raison de la difficulté à maintenir des comportements nouveaux et parfois contraignants. Pourtant, les comportements intégrés dans une identité forte sont plus susceptibles de perdurer. Pourquoi ? Parce que ces comportements ne sont plus perçus comme des choix temporaires ou imposés, mais comme une expression naturelle de qui l’on est.
Méthodologie de l’étude
Pour étudier le rôle de l’identité dans la perte de poids durable, Caldwell et al. (2024) ont conçu une méthodologie rigoureuse basée sur l’analyse des données issues du International Weight Control Registry (IWCR). Cette base de données unique regroupe des participants provenant de plusieurs pays – notamment des États-Unis, du Koweït, d’Italie et de Grèce – qui ont exprimé un intérêt pour la perte de poids, qu’ils soient actuellement engagés dans ce processus ou qu’ils l’aient déjà tenté. L’objectif était d’examiner comment deux formes spécifiques d’identité – l’identité liée à l’exercice (exercise identity) et l’identité liée à l’alimentation saine (healthy-eater identity) – influençaient les résultats de la perte de poids.
Échantillon étudié
L’étude s’est concentrée sur un échantillon de 1 709 adultes américains ayant fourni des données complètes sur des questionnaires validés, ainsi que des valeurs plausibles pour leur poids et leur taille. Ces participants ont été répartis aléatoirement en deux groupes pour les besoins des deux volets de l’étude :

- Étude 1 : Validation des échelles psychométriques 4-EI et 4-HEI (n = 839).
- Étude 2 : Analyse de l’impact de l’identité sur le succès dans la perte de poids (n = 870).
Les caractéristiques des participants révèlent un échantillon majoritairement féminin (87 %), blanc (74 %) et diplômé de l’enseignement supérieur. L’âge moyen était de 52 ans, avec un IMC moyen de 33,6 kg/m², indiquant une population globalement en surpoids ou obèse. Ces caractéristiques sont importantes, car elles reflètent les défis spécifiques auxquels ce groupe démographique est confronté dans le cadre de la perte de poids.
Outils d’évaluation
Pour mesurer l’identité liée à l’exercice et à l’alimentation saine, les chercheurs ont développé deux outils spécifiques :
- L’échelle d’identité liée à l’exercice (4-EI) : Composée de quatre items, cette échelle évalue à quel point une personne intègre l’exercice physique dans son image de soi. Par exemple, un item pourrait demander : “Faire de l’exercice est une partie importante de mon identité”. Les participants répondent sur une échelle allant de -3 (fortement en désaccord) à +3 (fortement d’accord).
- L’échelle d’identité liée à l’alimentation saine (4-HEI) : Inspirée de l’échelle précédente, elle évalue dans quelle mesure une personne perçoit les choix alimentaires sains comme faisant partie de son identité. Un exemple de question serait : “Je me considère comme une personne qui fait des choix alimentaires sains”.
Les scores de ces échelles sont calculés en prenant la moyenne des réponses aux quatre items. Une note élevée indique une forte intégration de ces comportements dans l’identité personnelle.
Catégories d’analyse
Les chercheurs ont segmenté les participants selon deux approches :
- Catégories subjectives : Les participants ont eux-mêmes défini leur niveau de succès dans la perte de poids en choisissant parmi trois options :
- Succès : Perte de poids maintenue depuis au moins un an.
- Regain : Perte de poids suivie d’une reprise.
- Échec : Tentative infructueuse de perdre du poids.
- Catégories objectives : Basées sur des critères mesurables, ces catégories distinguaient :
- Ceux ayant maintenu une perte de poids ≥5 % pendant plus d’un an.
- Ceux n’ayant pas atteint ce seuil.
Cette double approche permet de croiser les perceptions personnelles des participants avec des données plus objectives, offrant une vue complète des facteurs influençant le succès ou l’échec dans la perte de poids.
Objectifs des deux volets de l’étude
- Étude 1 : Valider les échelles psychométriques 4-EI et 4-HEI en examinant leurs corrélations avec d’autres comportements et attitudes, comme la fréquence de l’activité physique ou les habitudes alimentaires.
- Étude 2 : Explorer le lien entre la force de l’identité (mesurée par 4-EI et 4-HEI) et le succès dans la perte de poids, en comparant les scores des différents groupes subjectifs et objectifs.
Résultats des études
Les résultats de l’étude menée par Caldwell et al. (2024) mettent en lumière des conclusions fascinantes sur le rôle de l’identité dans la réussite de la perte de poids. Grâce à une méthodologie robuste et à des outils psychométriques validés, les chercheurs ont pu établir des liens significatifs entre l’identité liée à l’exercice et à l’alimentation saine, et le succès dans la gestion du poids. Ces résultats sont divisés en deux volets principaux correspondant aux objectifs des deux études.
Résultats de l’Étude 1 : Validation des échelles 4-EI et 4-HEI
L’objectif de cette première étude était de valider les outils psychométriques utilisés pour mesurer l’identité liée à l’exercice (exercise identity scale, 4-EI) et l’identité liée à l’alimentation saine (healthy-eater identity scale, 4-HEI). Les résultats montrent que ces deux échelles sont fiables, valides et pertinentes pour évaluer ces dimensions identitaires.
- Corrélations avec l’exercice physique :
Les scores de l’échelle 4-EI étaient positivement corrélés avec la fréquence de l’activité physique, y compris les exercices vigoureux, modérés et la marche. Cela signifie que les participants ayant des scores élevés à cette échelle étaient plus susceptibles de pratiquer une activité physique régulière. L’échelle était également associée à une motivation plus forte pour faire de l’exercice, et négativement corrélée à l’amotivation (le manque de motivation). - Corrélations avec les comportements alimentaires :
L’échelle 4-HEI a montré des corrélations positives avec des comportements tels que le contrôle cognitif de l’alimentation, et des corrélations négatives avec des comportements désadaptés comme l’alimentation émotionnelle, le manque de contrôle ou les envies alimentaires. Ces résultats valident l’idée que les comportements alimentaires sains sont fortement liés à une identité bien ancrée. - Caractéristiques psychométriques :
Les deux échelles ont démontré une cohérence interne élevée, confirmant qu’elles mesurent efficacement ce qu’elles prétendent évaluer. Cela en fait des outils fiables pour des études futures ou des applications cliniques.
Résultats de l’Étude 2 : Lien entre l’identité et la réussite dans la perte de poids
La deuxième étude visait à explorer la manière dont l’identité influence le succès dans la perte de poids. En comparant les scores des participants selon les catégories subjectives et objectives de succès, les chercheurs ont mis en évidence des tendances significatives.

- Catégories subjectives (succès, regain, échec) :
- Les participants se définissant comme ayant réussi à perdre du poids et à le maintenir (catégorie succès) avaient des scores significativement plus élevés sur les échelles 4-EI et 4-HEI que ceux des catégories regain et échec.
- Cette observation suggère que les individus intégrant pleinement des comportements sains dans leur identité sont mieux équipés pour maintenir leurs résultats.
- Catégories objectives (≥5 % de perte de poids maintenue) :
- Parmi ceux ayant maintenu une perte de poids d’au moins 5 % pendant plus d’un an, les scores des échelles 4-EI et 4-HEI étaient également plus élevés que chez ceux n’ayant pas atteint cet objectif.
- Ces résultats confirment que l’identité liée à l’exercice et à l’alimentation saine est un prédicteur fort de succès dans la gestion du poids.
- Différences démographiques et comportementales :
- Les participants des catégories succès étaient plus susceptibles de rapporter des habitudes alimentaires stables et une activité physique régulière. Ces comportements reflétaient une forte cohérence entre leur identité perçue et leurs actions.
- Importance des résultats statistiques :
- Les différences observées dans les scores d’identité entre les groupes étaient statistiquement significatives (p < 0,001), renforçant la robustesse des conclusions. Cela établit un lien clair entre une identité forte et les comportements nécessaires pour maintenir la perte de poids.
Synthèse des résultats
Les deux études montrent de manière convaincante que l’identité liée à l’exercice et à l’alimentation saine joue un rôle clé dans la réussite de la perte de poids durable. Les participants qui intègrent ces comportements à leur image de soi sont non seulement plus enclins à adopter ces pratiques, mais aussi à les maintenir face aux défis quotidiens.
Ces résultats ont des implications pratiques majeures. Ils suggèrent que les programmes de perte de poids ne devraient pas se contenter de viser des changements comportementaux superficiels, mais qu’ils devraient aussi travailler à aider les individus à intégrer ces changements dans leur identité. Cette approche pourrait être un moyen puissant de transformer la perte de poids en un processus durable et cohérent.
Discussion et implications
Les résultats obtenus par Caldwell et al. (2024) ouvrent de nouvelles perspectives sur la manière dont l’identité peut être utilisée pour soutenir des changements comportementaux à long terme dans le domaine de la perte de poids. En démontrant que les identités liées à l’exercice physique et à l’alimentation saine sont significativement associées au succès dans la gestion du poids, cette étude met en lumière l’importance de travailler non seulement sur les actions des individus, mais aussi sur la manière dont ils se perçoivent. Cette section explore les implications de ces résultats, en examinant leur portée théorique et pratique.
Synthèse des résultats : la force de l’identité comme moteur de changement
Les données montrent que les individus ayant une identité forte liée à l’exercice ou à l’alimentation saine sont plus susceptibles de maintenir des comportements bénéfiques sur le long terme. Pourquoi cela fonctionne-t-il ? Parce que l’identité agit comme un cadre narratif qui guide les comportements. Lorsque nous nous percevons comme des personnes actives ou soucieuses de notre alimentation, nos choix quotidiens tendent naturellement à s’aligner avec cette perception.
En s’appuyant sur le concept d’objectifs superordonnés (superordinate goals), les chercheurs montrent que ces identités servent de points d’ancrage pour les décisions et les habitudes. Comme le souligne Höchli et al. (2018), les objectifs superordonnés permettent de maintenir la motivation à long terme en alignant les comportements avec des valeurs et des aspirations personnelles profondes. Par exemple, une personne qui s’identifie comme un “mangeur sain” ne se contente pas de suivre un régime : elle voit ses choix alimentaires comme une partie intégrante de son mode de vie.
Applications pratiques : intégrer l’identité dans les programmes de perte de poids
Les implications pratiques de ces résultats sont vastes, notamment dans la conception des programmes de santé et de coaching. Voici les approches clés qui peuvent être mises en œuvre pour exploiter le rôle de l’identité dans la gestion du poids :
- Travailler sur la perception de soi :
Les professionnels de la santé peuvent aider leurs clients à se visualiser comme des individus actifs et soucieux de leur santé, en encourageant des affirmations positives et des réflexions sur leur identité. Cela peut inclure des exercices de journaling où les participants décrivent leurs aspirations et leurs valeurs. - Encourager des comportements alignés avec l’identité :
Plutôt que de demander des changements radicaux, il peut être plus efficace de commencer par des actions simples qui renforcent l’identité souhaitée. Par exemple, un individu pourrait se fixer comme objectif d’aller marcher chaque jour en se disant : “Je fais cela parce que je suis une personne active.” - Créer des communautés identitaires :
Les groupes de soutien ou les communautés en ligne peuvent jouer un rôle clé dans la construction d’une identité collective. S’entourer de personnes partageant les mêmes aspirations peut renforcer l’identité personnelle, tout en offrant un espace pour partager des réussites et surmonter les défis. - Former des habitudes identitaires :
La répétition de comportements simples mais cohérents peut aider à intégrer ces actions dans l’identité d’un individu. Par exemple, choisir une collation saine chaque jour peut devenir une habitude qui renforce l’identité de “mangeur sain”.
Mise en garde : l’équilibre entre identité et flexibilité
Malgré les avantages évidents d’une identité forte, il est essentiel de ne pas tomber dans le piège de la rigidité. Une identité trop rigide ou trop dépendante de la réussite dans des comportements spécifiques peut entraîner des sentiments d’échec lorsque ces comportements ne sont pas respectés. Par exemple, une personne qui se considère comme un coureur pourrait éprouver une grande frustration si elle est blessée et incapable de courir.
Les chercheurs insistent sur l’importance de la flexibilité cognitive, qui permet aux individus d’ajuster leur identité en fonction des circonstances. Plutôt que de se concentrer uniquement sur des actions spécifiques, les individus peuvent être encouragés à adopter des valeurs plus larges, telles que “prendre soin de sa santé”, ce qui leur laisse une plus grande marge de manœuvre pour adapter leurs comportements.
Repenser la notion de durabilité dans les comportements de santé
Les résultats de cette étude remettent en question certaines idées reçues sur la durabilité des comportements. Traditionnellement, les programmes de perte de poids mettent l’accent sur des changements minimaux ou peu intrusifs, dans l’idée que cela facilite leur adoption. Cependant, Caldwell et al. (2024) suggèrent que des changements plus profonds, bien que plus exigeants, peuvent être plus efficaces à long terme lorsqu’ils sont alignés avec une identité forte.
La durabilité ne signifie pas minimiser les efforts, mais plutôt les ancrer dans une nouvelle perception de soi. Cette approche peut transformer la perte de poids en un processus de croissance personnelle, où chaque étape contribue à renforcer l’identité de la personne.
Conclusion
En fin de compte, cette étude souligne que l’identité est un levier puissant mais souvent négligé dans les stratégies de gestion du poids. Plutôt que de chercher des solutions superficielles ou temporaires, il est possible de travailler sur des transformations profondes qui affectent non seulement les comportements, mais aussi la manière dont une personne se perçoit. C’est cette transformation identitaire qui peut offrir les meilleurs résultats en termes de durabilité et de résilience face aux défis.
Liste des Références Scientifiques
- Caldwell AE, More KR, Chui TK, Sayer RD. Psychometric validation of four-item exercise identity and healthy-eater identity scales and applications in weight loss maintenance. Int J Behav Nutr Phys Act. 2024 Feb 23;21(1):21.
- Höchli B, Brügger A, Messner C. How Focusing on Superordinate Goals Motivates Broad, Long-Term Goal Pursuit: A Theoretical Perspective. Front Psychol. 2018;9:1879.
L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
Réponses