Introduction
Le microbiote intestinal est devenu un sujet clé dans le domaine de la santé et de la nutrition. Composé de billions de micro-organismes, principalement des bactéries, il joue un rôle essentiel dans de nombreuses fonctions physiologiques, allant de la digestion à la régulation du système immunitaire. En plus d’aider à décomposer les aliments que nous consommons, le microbiote est directement impliqué dans la production de métabolites importants, dont les acides gras à chaîne courte (AGCC), qui influencent le métabolisme et l’inflammation dans le corps.
Au cours des dernières décennies, les chercheurs ont montré un lien étroit entre la composition du microbiote et divers aspects de la santé métabolique, notamment le contrôle du poids, la sensibilité à l’insuline et les maladies inflammatoires. Les changements dans la composition du microbiote peuvent être influencés par de nombreux facteurs, y compris l’alimentation, ce qui soulève une question importante : comment l’alimentation peut-elle être utilisée pour moduler la composition du microbiote et, par conséquent, améliorer les résultats en matière de santé ?
L’étude RyeWeight, menée par Iversen et al. (2022), s’inscrit dans ce cadre de recherche. Cette étude visait à explorer les effets d’une alimentation riche en fibres provenant du seigle, par rapport au blé raffiné, sur la composition du microbiote intestinal, les niveaux plasmatiques d’AGCC et les indicateurs de risque métabolique.
Objectif de l’étude
But principal
Le principal objectif de cette étude était d’examiner comment une alimentation riche en fibres de seigle par rapport à des produits à base de blé raffiné pouvait affecter le microbiote intestinal, les niveaux plasmatiques d’AGCC et les marqueurs de risque métabolique chez les individus en surpoids ou obèses. Cela inclut l’évaluation des effets de chaque régime alimentaire sur des paramètres clés tels que la composition corporelle, l’inflammation (via les niveaux de protéine C-réactive), et la diversité microbienne dans l’intestin.
Objectifs secondaires
Un autre objectif secondaire important de l’étude était d’examiner si les changements dans le microbiote intestinal et les AGCC étaient associés à des améliorations des marqueurs cliniques, tels que la perte de poids et la réduction de l’inflammation. Les chercheurs voulaient également voir si la composition du microbiote au début de l’étude influençait la réponse des participants à l’intervention alimentaire.
Méthodologie
Participants
L’étude a recruté 242 hommes et femmes âgés de 30 à 70 ans présentant un IMC (indice de masse corporelle) compris entre 27 et 35 kg/m². Tous les participants devaient être en bonne santé générale, mais présenter un surpoids ou une obésité modérée. Plusieurs critères ont été utilisés pour exclure certains participants, tels que l’utilisation de produits contenant de la nicotine, un niveau d’activité physique intense (plus de 10 heures par semaine) ou la participation à un programme de perte de poids au cours des six mois précédents.

La majorité des participants étaient des femmes (61%), avec un âge moyen de 56 à 57 ans et un poids moyen de 88 à 89 kg, sans différences significatives entre les deux groupes (seigle et blé). Les participants avaient un pourcentage de graisse corporelle de 39 à 41% en moyenne. 207 participants ont complété l’intervention, avec des caractéristiques similaires au départ entre les groupes.
Protocole d’intervention
Le protocole de l’étude s’est déroulé en deux étapes. Dans un premier temps, les participants ont suivi un régime à base de produits de blé pendant deux semaines, ce qui a permis de standardiser la consommation alimentaire de départ. Cela a aussi permis de sélectionner les participants qui pouvaient s’adapter au régime et respecter les consignes.
Ensuite, les participants ont été répartis aléatoirement dans l’un des deux groupes pour une intervention de 12 semaines. Un groupe a reçu des produits à base de seigle riche en fibres (environ 30 g/jour), tandis que l’autre groupe a consommé des produits à base de blé raffiné (8 g/jour de fibres). Les deux groupes suivaient un régime hypocalorique visant à réduire leur apport énergétique d’environ 500 kcal par jour.
Les produits alimentaires fournis aux participants représentaient environ 30 à 50% de leur apport calorique quotidien, et les participants ont été suivis de manière rigoureuse pour s’assurer qu’ils adhéraient aux consignes alimentaires. Les aliments étaient distribués dans des emballages neutres afin de ne pas révéler la nature exacte des produits consommés, même si les différences de goût et de texture rendaient impossible un véritable aveuglement complet.
Collecte de données
Les données ont été recueillies à trois moments clés : au début de l’étude (semaine 0), à mi-parcours (semaine 6), et à la fin (semaine 12). Les échantillons de selles ont été prélevés pour analyser la composition du microbiote intestinal, et des échantillons de plasma sanguin ont été utilisés pour mesurer les niveaux d’acides gras à chaîne courte. En parallèle, des mesures de la composition corporelle (poids, IMC, pourcentage de graisse), des marqueurs métaboliques (comme la CRP, indicateur d’inflammation), et des journaux alimentaires ont été utilisés pour suivre l’adhésion et l’évolution des participants.
Résultats de l’étude
Perte de poids et amélioration des marqueurs de risque métabolique
Les résultats ont montré que le groupe ayant consommé des produits riches en fibres de seigle a perdu significativement plus de poids que le groupe ayant consommé du blé raffiné. À la fin des 12 semaines, les participants du groupe seigle avaient perdu en moyenne 1,08 kg de plus que ceux du groupe blé, après ajustement pour les variables de base. Les participants du groupe seigle ont également vu des réductions plus importantes de leur IMC, de leur tour de taille et de leur masse grasse, en particulier au niveau de la graisse abdominale.
En ce qui concerne les marqueurs métaboliques, le groupe seigle a montré une diminution significative des niveaux de protéine C-réactive (CRP), un marqueur clé de l’inflammation, à la fois à la semaine 6 et à la semaine 12. Les niveaux de CRP étaient inférieurs de 21% à 28% chez les participants du groupe seigle par rapport au groupe blé à la fin de l’étude. Cela suggère que le régime riche en fibres de seigle a un effet anti-inflammatoire, même lorsque la perte de poids est prise en compte dans l’analyse.
Changements dans la composition du microbiote
Les analyses des échantillons de selles ont montré que le régime riche en fibres de seigle a induit des changements significatifs dans la composition du microbiote intestinal. Parmi les 110 bactéries analysées, 45 ont montré des différences significatives entre les groupes à la semaine 6 ou la semaine 12. Cependant, après ajustement statistique pour éviter les faux positifs, seuls 8 genres bactériens ont conservé une signification statistique.

Le groupe seigle a montré une augmentation des bactéries bénéfiques, telles que Agathobacter et Bifidobacterium, qui sont connues pour favoriser la production d’AGCC et améliorer la santé intestinale. En parallèle, certaines bactéries associées à des états inflammatoires, telles que Ruminococcus torques, ont diminué dans le groupe seigle par rapport au groupe blé.
Niveaux plasmatiques d’acides gras à chaîne courte
En ce qui concerne les AGCC, les résultats ont montré que les niveaux d’acide butyrique étaient significativement plus élevés dans le groupe seigle aux semaines 6 et 12, comparé au groupe blé. L’acide butyrique, en particulier, est bien documenté pour ses effets anti-inflammatoires et son rôle dans le maintien de la santé des cellules du côlon. Ces résultats soutiennent l’idée que la consommation de fibres de seigle favorise la production d’AGCC, qui peuvent jouer un rôle dans la régulation du poids et la réduction de l’inflammation.

Discussion
Interprétation des résultats
Les résultats de l’étude RyeWeight indiquent clairement que la consommation de fibres alimentaires, en particulier celles provenant du seigle, a des effets bénéfiques sur la perte de poids, la composition corporelle et la réduction de l’inflammation. Les participants du groupe seigle ont non seulement perdu plus de poids, mais ont également montré une amélioration plus significative de leur état inflammatoire (mesurée par la diminution des niveaux de CRP) par rapport aux participants du groupe blé raffiné.
La principale explication derrière ces résultats semble résider dans les changements observés dans la composition du microbiote intestinal et la production accrue d’acides gras à chaîne courte (AGCC), notamment l’acide butyrique. Les fibres alimentaires fermentescibles, comme celles du seigle, favorisent la prolifération de bactéries bénéfiques dans l’intestin. Ces bactéries, en métabolisant les fibres, produisent des AGCC qui ont des effets métaboliques variés, allant de l’amélioration de la santé intestinale à la modulation des processus inflammatoires et métaboliques dans tout le corps.
Ces résultats corroborent d’autres études ayant montré que les AGCC, et en particulier l’acide butyrique, peuvent jouer un rôle clé dans la réduction de l’inflammation, l’amélioration de la sensibilité à l’insuline, et même la régulation de l’appétit. Par exemple, une revue de Byrne et al. (2015) a mis en évidence que les AGCC, et notamment l’acide butyrique, augmentent la satiété en favorisant la libération de certaines hormones de satiété comme le GLP-1 et la PYY, tout en ayant un effet sur la réduction de la graisse corporelle.
Comparaison avec d’autres études similaires
Plusieurs autres études soutiennent l’idée que la consommation de fibres alimentaires, et plus spécifiquement les fibres de seigle, peut avoir des effets bénéfiques sur la santé métabolique. Par exemple, une étude de Weickert et Pfeiffer (2018) a montré que les régimes riches en fibres alimentaires provenant de grains entiers peuvent améliorer la composition du microbiote intestinal et réduire les marqueurs inflammatoires. De plus, ces régimes favorisent également une meilleure gestion du poids en réduisant l’absorption calorique et en augmentant la dépense énergétique liée à la fermentation des fibres dans le côlon.
La présente étude renforce également les conclusions d’une méta-analyse réalisée par Reynolds et al. (2019), qui a révélé que les régimes riches en fibres sont associés à une réduction significative des risques de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2 et de mortalité globale. Les fibres alimentaires, en particulier celles provenant de sources non raffinées comme le seigle, semblent jouer un rôle protecteur important pour la santé à long terme.
Limites de l’étude
Bien que les résultats de cette étude soient prometteurs, il est important de reconnaître certaines limites. Premièrement, la variabilité individuelle dans la composition du microbiote intestinal est immense, et les résultats observés dans cette étude ne peuvent pas nécessairement être généralisés à l’ensemble de la population. Chaque individu possède un microbiote unique, influencé par des facteurs génétiques, alimentaires et environnementaux, ce qui rend difficile l’établissement de conclusions universelles.
Deuxièmement, l’étude n’a pas mesuré les effets à long terme de l’alimentation riche en seigle sur la perte de poids et la santé métabolique. Les changements observés sur 12 semaines peuvent ne pas refléter les effets durables, et il est possible que les participants reprennent du poids ou que les bienfaits sur l’inflammation diminuent avec le temps sans intervention continue.
Critiques
Une critique méthodologique importante réside dans le fait que l’étude n’a pas pu contrôler tous les facteurs qui influencent la composition du microbiote et les niveaux d’AGCC. Des éléments comme le stress, l’exercice physique ou encore l’utilisation de médicaments (comme les antibiotiques) peuvent affecter la diversité microbienne et les niveaux de métabolites dans le plasma. Par conséquent, les résultats obtenus doivent être interprétés avec prudence.
En outre, bien que l’augmentation des AGCC dans le groupe seigle ait été documentée, les niveaux de certains AGCC n’ont pas montré de différence statistiquement significative entre les groupes, notamment l’acide propionique et l’acide acétique. Cela pourrait s’expliquer par des facteurs comme la variabilité interindividuelle ou des différences dans la réponse du microbiote aux fibres alimentaires.
Conclusion
En conclusion, l’étude RyeWeight menée par Iversen et al. (2022) montre clairement que la consommation de seigle riche en fibres a des effets bénéfiques sur la perte de poids, la composition corporelle et la réduction de l’inflammation. Les résultats de l’étude suggèrent que ces effets sont au moins partiellement dus aux changements dans la composition du microbiote intestinal et à une augmentation de la production d’acides gras à chaîne courte, notamment l’acide butyrique.
L’étude souligne également l’importance de consommer une alimentation riche en fibres pour non seulement améliorer la santé intestinale, mais aussi pour favoriser la gestion du poids et réduire les risques métaboliques. Le choix des sources de glucides, comme le seigle par rapport au blé raffiné, peut avoir un impact significatif sur ces résultats.
Bien que cette étude apporte des éléments intéressants, il reste encore de nombreuses questions à explorer. Il serait utile de mener des études à plus long terme pour déterminer si les effets bénéfiques du seigle sur la perte de poids et l’inflammation persistent avec le temps. De plus, il serait pertinent d’explorer comment ces résultats peuvent s’appliquer à d’autres groupes de population, tels que les jeunes adultes, les personnes âgées ou celles souffrant de maladies chroniques.
Enfin, une exploration plus approfondie des mécanismes sous-jacents par lesquels les AGCC modulent les fonctions métaboliques et inflammatoires serait bénéfique pour mieux comprendre les interactions complexes entre l’alimentation, le microbiote et la santé métabolique
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L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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