Introduction
Lorsqu’on parle de musculation et de nutrition sportive, la question des besoins en protéines reste l’un des sujets les plus débattus et les plus importants. Les protéines sont souvent considérées comme le pilier de la récupération musculaire et de la croissance, ce qui pousse les sportifs à explorer des stratégies pour maximiser leur consommation, notamment via le timing. Parmi les pratiques populaires, la prise de protéines avant le couché, appelée protéines pré-sommeil, est souvent présentée comme une stratégie optimale pour stimuler la synthèse protéique durant la nuit.
Cependant, une étude récente publiée par Chapman et al. (2023) vient remettre en question certaines croyances bien ancrées.
Cette introduction soulève alors des questions essentielles : Quelle est la véritable importance des protéines pré-sommeil ? Les besoins protéiques sont-ils surévalués pour certains profils d’athlètes ? Pourquoi ces résultats diffèrent-ils des recommandations traditionnelles ? Cet article décrypte en profondeur cette étude et ses implications pratiques pour tous les passionnés de musculation, qu’ils soient débutants ou confirmés.
Objectifs et hypothèses
But de l’étude
L’objectif principal de l’étude menée par Chapman et al. (2023) était de déterminer l’influence d’une supplémentation en protéines avant le sommeil sur trois paramètres essentiels chez des recrues de l’armée britannique : la performance physique, la composition corporelle et la récupération musculaire. Plus précisément, l’équipe de chercheurs souhaitait comprendre si la prise d’une dose modérée de 20 g ou d’une dose élevée de 60 g de protéines avant le sommeil pouvait influencer ces facteurs pendant une période d’entraînement intensif de 12 semaines.
Hypothèses des chercheurs
Les chercheurs ont formulé l’hypothèse que l’augmentation de la dose de protéines pré-sommeil aurait un effet positif sur les performances musculaires et la composition corporelle des participants. Plus précisément, ils pensaient observer une amélioration dose-dépendante de la force musculaire, avec des gains plus importants dans le groupe consommant 60 g de protéines par rapport au groupe consommant 20 g. La masse maigre (à savoir la masse musculaire) était également identifiée comme une variable clé pour mesurer l’efficacité de la supplémentation.
Ainsi, l’étude cherchait à tester si une dose plus élevée de protéines était capable de produire des effets significatifs sur ces résultats, en comparaison avec une supplémentation modérée, un placebo glucidique ou aucun supplément. Les chercheurs ont également pris en compte des marqueurs biologiques de récupération comme les niveaux de cortisol et de testostérone.
En résumé, l’hypothèse était claire : plus la dose de protéines avant le sommeil est élevée, plus les performances et la composition corporelle s’améliorent. Les résultats de cette étude vont pourtant réserver quelques surprises.
Méthodologie
Population étudiée
L’étude a été menée sur 122 recrues de l’armée britannique, composées de 99 hommes et 23 femmes, participant à un programme d’entraînement intensif sur 12 semaines. Ce groupe représente une population particulièrement pertinente pour l’étude de la récupération et de la composition corporelle, car l’entraînement militaire impose des exigences physiques élevées, associées à un potentiel d’amélioration significatif chez des sujets non-entraînés au départ.
Design de l’étude
L’étude était un essai contrôlé randomisé (RCT), une méthode considérée comme la référence pour déterminer les effets d’une intervention. Les participants ont été répartis aléatoirement dans l’un des quatre groupes suivants :
- Groupe protéines modérées : 20 g de protéines avant le sommeil.
- Groupe protéines élevées : 60 g de protéines avant le sommeil.
- Groupe placebo glucidique : Une supplémentation en maltodextrine pour correspondre aux calories du groupe protéines élevées.
- Groupe contrôle : Aucun supplément.
Les suppléments étaient constitués d’un mélange de whey isolate et concentrée, une source de protéines de qualité reconnue pour sa teneur en acides aminés essentiels. Les participants ont consommé leur supplément chaque soir entre 20h et 21h, encadrés par le personnel de recherche pour assurer la rigueur de l’intervention.
Mesures collectées
Pour analyser l’impact de la supplémentation, plusieurs variables ont été mesurées à trois moments clés : au début (semaines 1-2), à mi-parcours (semaine 6) et à la fin de l’entraînement (semaine 12).
Les performances physiques ont été évaluées à travers des tests de force et d’endurance, incluant le mid-thigh pull (travail de soulevé d’une barre dans un rack en isométrie), le lancer de médecine-ball, une course de 2 km, le nombre de pompes réalisées en 2 minutes, et le saut vertical. La composition corporelle a été mesurée par DXA pour analyser les variations de masse grasse, de masse maigre et de densité minérale osseuse. Enfin, des marqueurs biologiques comme le cortisol et la testostérone, ainsi que des questionnaires sur la fatigue, l’humeur et la douleur musculaire, ont permis d’évaluer la récupération.
Analyse des données
Les chercheurs ont utilisé des analyses de covariance (ANCOVA) pour ajuster les résultats en fonction des données de départ. Cette méthode statistique robuste a permis de comparer les évolutions entre les groupes tout en minimisant l’influence des variations initiales.
Résultats
Apports nutritionnels et dépenses énergétiques
Les résultats montrent des disparités importantes entre les groupes en termes d’apport nutritionnel, bien que les dépenses énergétiques soient similaires. Les recrues ont dépensé en moyenne entre 3400 et 3900 kcal/jour, tandis que leurs apports énergétiques variaient de 2200 à 2700 kcal/jour, indiquant un déficit calorique modéré. Concernant les protéines, les niveaux de consommation étaient les suivants :

- Groupe contrôle : 1,17 g/kg/j.
- Groupe placebo : 1,31 g/kg/j.
- Groupe protéines modérées : 1,71 g/kg/j.
- Groupe protéines élevées : 2,16 g/kg/j.

Composition corporelle
Malgré ces différences, aucun impact significatif de la supplémentation sur la composition corporelle n’a été observé. Tous les groupes ont enregistré des gains similaires en masse maigre, avec une augmentation moyenne de 3 à 5 %, et des pertes mineures de masse grasse. Ces résultats suggèrent que l’augmentation de l’apport en protéines n’a pas influencé de manière notable la recomposition corporelle dans ce contexte.

Performances physiques
Les performances physiques se sont améliorées dans tous les groupes, mais sans différences significatives. Les tests de force, d’endurance et de puissance ont montré des progressions similaires, avec des variations modestes selon les exercices. Par exemple, le mid-thigh pull a enregistré une augmentation moyenne de 7 % dans les groupes contrôle et placebo, contre 4 % dans le groupe protéines élevées.

Récupération musculaire
Les marqueurs biologiques et les perceptions subjectives de la récupération n’ont pas révélé d’améliorations notables grâce à la supplémentation. Le seul résultat significatif concernait une réduction des scores de tension dans le groupe protéines élevées, indiquant une possible influence positive sur l’humeur (p = 0,022). Toutefois, les niveaux de cortisol et de testostérone sont restés similaires entre les groupes, et les mesures de fatigue et de douleur musculaire n’ont montré aucun avantage lié à la supplémentation.
Interprétation des résultats
Les résultats de cette étude remettent en question plusieurs idées reçues sur l’apport protéique et son rôle dans l’amélioration des performances, de la composition corporelle et de la récupération. Contrairement aux attentes, l’augmentation de l’apport en protéines avant le sommeil n’a pas produit de bénéfices significatifs, même pour des quantités élevées de 2,16 g/kg/j comparées à des apports modérés de 1,17 g/kg/j.
Quantité versus qualité et timing
Un des enseignements majeurs de cette recherche est que la quantité totale de protéines consommée sur la journée semble plus déterminante que leur répartition ou leur moment de prise. Ces résultats concordent avec les travaux de Morton et al. (2018), qui ont montré que l’impact du timing est souvent secondaire face à l’apport global. Cela ne signifie pas que la prise de protéines avant le coucher est inutile, mais elle n’apporte pas de bénéfices supplémentaires significatifs dans un contexte où l’apport journalier est suffisant.
Les gains des débutants et l’effet plafond
L’absence de différences significatives peut également s’expliquer par le statut d’entraînement des participants. Les recrues, peu entraînées au départ, ont bénéficié des gains du débutant, un phénomène bien documenté où les adaptations musculaires initiales sont rapides et largement indépendantes des ajustements nutritionnels. Cela suggère qu’à ce stade, les besoins spécifiques en protéines sont relativement faibles pour soutenir la croissance musculaire et la récupération.
Le déficit calorique modéré : une variable clé
Un autre facteur à considérer est le déficit calorique modéré observé chez les participants. Les études précédentes, comme celle de Helms et al. (2014), ont montré que les besoins en protéines augmentent avec l’intensité du déficit énergétique. Cependant, dans cette étude, le déficit était trop faible pour exercer une pression suffisante sur les réserves protéiques, expliquant pourquoi des apports inférieurs n’ont pas conduit à une perte de masse maigre.
Limites méthodologiques
Enfin, il est important de noter certaines limites de l’étude. Les participants n’étaient pas des athlètes confirmés, et les résultats pourraient différer pour des populations plus expérimentées ou des contextes d’entraînement plus spécifiques. De plus, les apports énergétiques ont été auto-déclarés, une méthode connue pour ses biais. Ces éléments doivent être pris en compte avant de généraliser les conclusions.
Conclusion
Les résultats de cette étude fournissent une perspective nuancée sur les besoins en protéines, particulièrement pour les débutants ou les pratiquants modérés. Ils montrent que, dans des conditions d’entraînement intensif mais non extrême, des apports modérés en protéines (1,2-1,4 g/kg/j) suffisent à soutenir les adaptations musculaires. Voici les principales implications pratiques :
Cette étude rappelle enfin l’importance de s’appuyer sur des données solides et spécifiques à chaque contexte, plutôt que sur des généralisations qui peuvent ne pas convenir à tous les pratiquants. Les besoins en protéines dépendent largement du statut d’entraînement, des objectifs individuels et des conditions énergétiques, ce qui appelle à une approche toujours personnalisée.
Liste des Références Scientifiques
- Chapman S, Roberts J, Roberts AJ, Ogden H, Izard R, Smith L, et al. Pre-sleep protein supplementation does not improve performance, body composition, and recovery in British Army recruits (part 1). Front Nutr. 2023;10:1262044.
- Morton RW, Murphy KT, McKellar SR, Schoenfeld BJ, Henselmans M, Helms E, et al. A systematic review, meta-analysis and meta-regression of the effect of protein supplementation on resistance training-induced gains in muscle mass and strength in healthy adults. Br J Sports Med. 2018 Mar;52(6):376–84.
- Nunes EA, Colenso-Semple L, McKellar SR, Yau T, Ali MU, Fitzpatrick-Lewis D, et al. Systematic Review And Meta-Analysis Of Protein Intake To Support Muscle Mass And Function In Healthy Adults. J Cachexia Sarcopenia Muscle. 2022;13(2):795–810.
- Helms ER, Zinn C, Rowlands DS, Brown SR. A systematic review of dietary protein during caloric restriction in resistance trained lean athletes: a case for higher intakes. Int J Sport Nutr Exerc Metab. 2014 Apr;24(2):127–38.
- Hall KD. What is the required energy deficit per unit weight loss? Int J Obes. 2008 Mar;32(3):573–6.
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- Hevia-Larraín V, Gualano B, Longobardi I, Gil S, Fernandes AL, Costa LAR, et al. High-Protein Plant-Based Diet Versus a Protein-Matched Omnivorous Diet to Support Resistance Training Adaptations: A Comparison Between Habitual Vegans and Omnivores. Sports Med. 2021 Jun;51(6):1317–30.
L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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