Introduction
Durant la période de “peak week”, les bodybuilders manipulent leur nutrition et leur hydratation dans le but de maximiser leur définition musculaire et minimiser la rétention d’eau sous-cutanée.
L’une des stratégies les plus discutées consiste à augmenter le rapport eau intracellulaire/extracellulaire. L’idée est de réduire l’eau extracellulaire (qui peut contribuer à un aspect “gonflé” ou “mou”) et d’augmenter l’eau intracellulaire (qui donnerait aux muscles un aspect plus “plein” et “dense”). Cependant, les mécanismes sous-jacents à ces changements et leur impact réel sur l’apparence physique restent encore mal compris et peu étudiés.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’étude de Nunes et al. (2022), qui vise à évaluer les changements dans les fractions d’eau corporelle et les paramètres bioélectriques des bodybuilders entre la veille et le jour de la compétition. Cette étude représente une avancée significative dans la compréhension des effets physiologiques des stratégies de “peaking” et leur influence potentielle sur l’apparence.
Objectif de l’étude
But de la recherche
L’objectif principal de l’étude menée par Nunes et ses collègues était d’examiner les modifications des fractions d’eau corporelle ainsi que les paramètres de l’impédance bioélectrique des bodybuilders, du jour précédant la compétition au jour même. Plus précisément, les chercheurs souhaitaient déterminer si les pratiques couramment utilisées par les bodybuilders pour manipuler l’hydratation et la répartition des fluides avaient l’effet escompté sur l’augmentation de l’eau intracellulaire et la diminution de l’eau extracellulaire.
Cette étude a été conçue pour répondre à une question centrale : les stratégies de “peaking” des bodybuilders peuvent-elles vraiment modifier le rapport eau intracellulaire/extracellulaire de manière significative, et si oui, comment cela se traduit-il en termes d’apparence physique ? Pour les athlètes, il est crucial de savoir si ces ajustements complexes, souvent réalisés sous une pression énorme, apportent réellement les bénéfices attendus.
Hypothèses de départ
Les auteurs ont formulé plusieurs hypothèses concernant les changements physiologiques susceptibles de se produire entre la veille et le jour de la compétition. Ils ont émis l’hypothèse que :
- L’eau corporelle totale (TBW) et l’eau extracellulaire (ECW) diminueraient, reflétant une réduction de la rétention d’eau à l’extérieur des cellules, souvent associée à une apparence plus “sèche”.
- L’eau intracellulaire (ICW) augmenterait, suggérant une meilleure hydratation des cellules musculaires, potentiellement liée à une apparence plus “pleine” des muscles.
- Les paramètres bioélectriques, notamment la résistance (R) et la réactance (Xc), augmenteraient, indiquant une amélioration de l’intégrité et de la qualité des membranes cellulaires musculaires, ce qui pourrait également contribuer à une meilleure apparence sur scène.
Ces hypothèses étaient fondées sur l’idée que les stratégies de “peaking” optimisent le rapport entre l’eau intracellulaire et extracellulaire, améliorant ainsi l’apparence physique des bodybuilders au moment où ils montent sur scène.
Méthodologie
Participants
Pour cette étude, les chercheurs ont recruté 11 bodybuilders masculins parmi un groupe initial de 50 athlètes masculins et féminins invités à participer. Les participants avaient un âge moyen de 28,8 ± 4,1 ans, un poids moyen de 80,5 ± 7,9 kg, et une taille moyenne de 172,0 ± 7,2 cm, avec un indice de masse corporelle (IMC) moyen de 27,2 ± 1,9 kg/m². Ces athlètes avaient en moyenne participé à six compétitions précédentes, ce qui indique qu’ils avaient une expérience considérable dans la gestion de leur corps lors de la “peak week”.
Un des aspects importants de cette étude est la petite taille de l’échantillon. Bien que cela puisse sembler être une limitation, il est essentiel de comprendre que la nature même du bodybuilding compétitif rend difficile le recrutement d’un large échantillon de participants. Les bodybuilders sont souvent réticents à participer à des études qui pourraient potentiellement interférer avec leur performance le jour de la compétition. De plus, les mesures ont été prises dans un contexte extrêmement sensible, ce qui peut expliquer pourquoi seulement 11 des 50 athlètes invités ont accepté de participer.
Design de l’étude et évaluations
L’étude s’est déroulée sur deux jours critiques : la veille de la compétition et le jour de la compétition. Ces deux moments sont stratégiquement importants pour les bodybuilders, car ils représentent le moment où les stratégies de “peaking” sont pleinement mises en œuvre. Les participants, tous amateurs, concouraient dans une compétition de bodybuilding encadrée par l’International Federation of Bodybuilding and Fitness (IFBB) à l’échelle de l’État.
Le jour précédant la compétition, les participants se sont rendus sur le lieu de la compétition pour leur pesée officielle. Après la pesée, les chercheurs ont mesuré la circonférence de la taille, du bras supérieur droit et de la cuisse médiane des participants. La hauteur auto-rapportée a également été enregistrée. Ensuite, une impédance bioélectrique sensible à une seule fréquence a été utilisée pour évaluer les mesures d’eau corporelle de pied à main, suivant des procédures de laboratoire standardisées pour assurer l’exactitude des résultats. Ces mesures ont été répétées le jour de la compétition, avant l’échauffement des athlètes, juste avant les préjugements.
Il est à noter que tous les 11 compétiteurs ont accepté de participer à l’analyse bioélectrique, mais seulement huit ont accepté que leurs circonférences soient mesurées. Cela souligne une fois de plus la sensibilité de cette période pour les athlètes, car ces mesures étaient prises juste avant leur montée sur scène, un moment où ils sont très concentrés sur leur apparence et leur performance.
Les chercheurs ont utilisé des équations validées précédemment pour estimer l’eau corporelle totale, intracellulaire et extracellulaire, basées sur les mesures d’impédance bioélectrique. Ces équations sont essentielles car elles permettent de convertir les données brutes d’impédance en estimations des compartiments hydriques du corps.
Résultats
Circonférences corporelles et poids
Les résultats de l’étude ont révélé des changements significatifs dans les circonférences corporelles des participants entre la veille et le jour de la compétition. La circonférence de la taille a significativement diminué, passant de 79,3 ± 3,2 cm à 78,6 ± 2,8 cm (p = 0.036; taille de l’effet = -0,21), tandis que la circonférence du bras supérieur a augmenté, passant de 36,1 ± 1,5 cm à 36,8 ± 1,5 cm (p = 0.028; taille de l’effet = 0,40). Ces changements sont cohérents avec l’objectif des bodybuilders de réduire la rétention d’eau sous-cutanée et d’améliorer la plénitude musculaire.
En revanche, aucun changement significatif n’a été observé dans la circonférence de la cuisse (56,6 ± 2,6 cm à 56,2 ± 2,0 cm; p = 0.468; taille de l’effet = -0,14) ni dans le poids corporel (80,8 ± 7,9 kg à 80,2 ± 8,0 kg; p = 0.158; taille de l’effet = -0,07). Ces résultats suggèrent que les stratégies de “peaking” ont des effets localisés, influençant principalement les zones du corps où les athlètes cherchent à maximiser leur définition musculaire.
Ces changements dans les circonférences sont essentiels car ils indiquent que les bodybuilders peuvent manipuler efficacement certaines mesures corporelles spécifiques, probablement par le biais de techniques de déshydratation sélective et de chargement en glucides. Cependant, la stabilité de la circonférence de la cuisse et du poids corporel global pourrait suggérer que ces effets ne sont pas uniformes sur tout le corps, ou que les techniques utilisées ciblent spécifiquement certaines régions pour un effet maximal sur scène.
Modifications de l’eau corporelle
L’étude a également révélé des changements significatifs dans les compartiments hydriques du corps des participants. Il y a eu une diminution significative de l’eau corporelle totale (51,4 ± 4,6 L à 50,3 ± 4,2 L; p = 0.028; taille de l’effet = -0,22) et de l’eau extracellulaire (19,8 ± 1,8 L à 17,2 ± 1,4 L; p < 0.001; taille de l’effet = -1,39). En revanche, l’eau intracellulaire a augmenté de manière significative (31,6 ± 2,9 L à 33,1 ± 2,8 L; p < 0.001; taille de l’effet = 0,50), entraînant une augmentation du rapport eau intracellulaire/extracellulaire (1,60 ± 0,03 L à 1,92 ± 0,01 L; p < 0.001).
Ces résultats sont particulièrement intéressants car ils confirment que les stratégies de “peaking” peuvent effectivement influencer la répartition des fluides corporels. La diminution de l’eau extracellulaire est en ligne avec l’objectif de réduire la rétention d’eau sous-cutanée, tandis que l’augmentation de l’eau intracellulaire pourrait contribuer à un aspect plus plein et plus dense des muscles.
Un point notable est que tous les participants sauf un ont connu une diminution de l’eau corporelle totale, tandis que tous ont montré une augmentation de l’eau intracellulaire et une diminution de l’eau extracellulaire. Cela suggère que, malgré les variations individuelles dans les stratégies de “peaking”, les bodybuilders peuvent atteindre des changements significatifs dans la répartition des fluides, ce qui pourrait potentiellement améliorer leur apparence sur scène.
Discussion et critiques
Interprétation des résultats
Les résultats de cette étude offrent un aperçu précieux des effets des stratégies de “peaking” sur la répartition des fluides corporels. L’augmentation du rapport eau intracellulaire/extracellulaire observée chez tous les participants suggère que les bodybuilders peuvent, dans une certaine mesure, manipuler ce rapport pour améliorer leur apparence. Cela pourrait valider certaines des pratiques couramment utilisées dans le milieu du bodybuilding pour maximiser la plénitude musculaire et minimiser la rétention d’eau visible sous la peau.
Cependant, il est important de souligner que ces résultats ne doivent pas être sur-interprétés. Bien que l’augmentation du rapport eau intracellulaire/extracellulaire puisse sembler bénéfique, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle se traduit automatiquement par une amélioration visible de l’apparence. En effet, la distinction entre l’eau intracellulaire et l’eau intramusculaire n’est pas claire dans cette étude, et l’eau extracellulaire ne se limite pas à la rétention d’eau sous-cutanée. Par exemple, une partie de l’eau extracellulaire se trouve dans le système vasculaire, où elle est essentielle pour un bon flux sanguin et une bonne congestion musculaire lors du “pump-up” pré-compétition.
En outre, les variations individuelles dans les stratégies de “peaking” rendent difficile l’établissement d’une corrélation directe entre les changements observés et l’apparence physique améliorée. Tous les participants n’ont pas utilisé les mêmes techniques, et les effets peuvent varier en fonction des méthodes spécifiques employées. Par conséquent, bien que cette étude montre que le rapport eau intracellulaire/extracellulaire peut être modifié, elle ne prouve pas que ce changement est toujours bénéfique pour l’apparence sur scène.
Critiques méthodologiques
Bien que l’étude apporte des informations intéressantes, elle présente également plusieurs limitations importantes qui doivent être prises en compte lors de l’interprétation des résultats.
Premièrement, la petite taille de l’échantillon limite la généralisation des résultats. Avec seulement 11 participants, il est difficile de tirer des conclusions définitives qui s’appliqueraient à l’ensemble de la population des bodybuilders. De plus, ces participants étaient tous des bodybuilders masculins, ce qui signifie que les résultats pourraient ne pas être applicables aux bodybuilders féminins.
Deuxièmement, l’utilisation de l’impédance bioélectrique à fréquence unique pour mesurer les compartiments hydriques présente des limitations méthodologiques. Cette méthode est moins précise que les alternatives multi-fréquences ou la spectroscopie d’impédance bioélectrique, qui permettent de distinguer plus précisément l’eau intracellulaire de l’eau extracellulaire. De plus, les mesures ont été effectuées dans un contexte non standardisé, avec des athlètes qui n’étaient pas à jeun pendant une période suffisante ou qui avaient peut-être récemment terminé une session d’entraînement léger.
Enfin, les équations utilisées pour estimer les compartiments hydriques étaient basées sur des populations d’athlètes différents, ce qui pourrait introduire des erreurs lorsqu’elles sont appliquées à des bodybuilders, dont la géométrie corporelle est différente de celle des athlètes d’endurance ou des sports d’équipe. Cela pourrait entraîner une surestimation ou une sous-estimation des valeurs réelles de l’eau corporelle totale, intracellulaire ou extracellulaire.
Applications pratiques et recommandations
Implications pour les compétiteurs de bodybuilding
Les résultats de cette étude suggèrent que les stratégies de “peaking” utilisées par les bodybuilders peuvent effectivement influencer le rapport eau intracellulaire/extracellulaire, ce qui pourrait avoir un impact sur leur apparence lors des compétitions. Cependant, il est crucial pour les compétiteurs de comprendre que ces manipulations ne garantissent pas nécessairement une amélioration visible de l’apparence et qu’il existe des variations individuelles importantes.
Il est recommandé aux bodybuilders de continuer à expérimenter avec leurs stratégies de “peaking”, tout en tenant compte des limites et des incertitudes qui entourent ces pratiques. Une approche personnalisée, basée sur une compréhension approfondie de la réponse individuelle aux différentes techniques, est essentielle pour optimiser les résultats.
Perspectives pour la recherche future
Pour avancer dans la compréhension des effets des stratégies de “peaking” sur l’apparence physique, des études futures devraient utiliser des méthodes de mesure plus précises, comme la spectroscopie d’impédance bioélectrique multi-fréquences, ou d’autres techniques de référence plus directes comme la dilution du deutérium et du bromure. Ces méthodes pourraient fournir des estimations plus fiables des changements dans les compartiments hydriques corporels.
De plus, il serait bénéfique de combiner ces évaluations bioélectriques avec des évaluations visuelles de l’apparence, comme l’ont fait les chercheurs dans des études antérieures sur le chargement en glucides. Cela permettrait de quantifier les changements d’apparence en relation avec les modifications physiologiques, et d’identifier quelles méthodes de “peaking” sont les plus efficaces pour améliorer l’apparence sur scène.
Conclusion
Les stratégies de “peaking” utilisées par les bodybuilders pour manipuler l’hydratation et la répartition des fluides corporels peuvent conduire à des augmentations du rapport eau intracellulaire/extracellulaire, ce qui pourrait théoriquement améliorer l’apparence. Cependant, l’impact exact de ces changements sur l’apparence reste incertain, et les techniques utilisées pour mesurer ces changements doivent être améliorées pour fournir des résultats plus précis et fiables.
Pour les bodybuilders, il est essentiel de continuer à affiner leurs stratégies de “peaking” en se basant sur une combinaison de données scientifiques solides et d’expérience personnelle. La recherche future apportera sans doute plus de clarté sur la manière dont ces stratégies peuvent être optimisées pour maximiser les résultats en compétition.
Liste des Références Scientifiques
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L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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