Pourquoi provoquer des courbatures n’aide pas à mieux progresser ?

Table des matières

Introduction

« No pain, no gain » : voilà un mantra bien connu dans le monde de la musculation. Mais est-il réellement nécessaire de provoquer des douleurs musculaires intenses pour progresser ? L’étude classique de Flann et al. (2011) s’attaque précisément à cette question. En comparant deux groupes soumis à un entraînement excentrique avec ou sans phase préparatoire, les auteurs explorent si les dommages musculaires — souvent associés à des courbatures — sont une condition sine qua non de l’hypertrophie musculaire et des gains de force. Les résultats remettent en question une croyance tenace : il est possible de progresser sans passer par une phase douloureuse.

Objectif et protocole expérimental

Objectif principal

L’objectif principal de l’étude était de comparer les adaptations musculaires — en termes de croissance et de force — chez des individus sédentaires soumis à un même volume total d’entraînement excentrique, mais réparti soit sur 8 semaines (avec dommages musculaires), soit sur 11 semaines (avec une période d’adaptation de 3 semaines visant à minimiser les dommages).

Participants

Quatorze participants (8 hommes, 6 femmes), en bonne santé et ne pratiquant aucun entraînement des membres inférieurs depuis au moins un an, ont été recrutés. L’âge moyen était de 24 ± 3 ans, le poids moyen de 73 ± 11 kg et l’indice de masse corporelle de 23,8 ± 2,2 kg/m². Ils ont été répartis équitablement entre les deux groupes.

Protocole

Tous les participants ont effectué des séances de cyclisme excentrique : un protocole dans lequel les pédales tournent à l’envers sous l’effet d’un moteur, et où le sujet doit résister à ce mouvement, provoquant ainsi une contraction excentrique des muscles quadriceps et fessiers.

Le groupe « 8 semaines » a effectué des séances de 20 minutes à intensité constante (13 sur l’échelle de Borg) trois fois par semaine pendant 8 semaines. Le groupe « 11 semaines » a commencé avec une phase d’introduction progressive sur 3 semaines, où la durée et l’intensité augmentaient graduellement :

  • Semaine 1 : 5 à 10 minutes à faible intensité
  • Semaine 2 : 10 à 15 minutes à intensité modérée
  • Semaine 3 : 15 à 20 minutes à intensité modérée-haute

Ensuite, les séances ont suivi le même format que le groupe 8 semaines. Le volume total de travail (en kilojoules) a été égalisé entre les deux groupes, en ajustant légèrement l’intensité pour compenser les trois semaines supplémentaires.

Les mesures incluaient :

  • Force isométrique maximale du quadriceps via dynamomètre ;
  • Volume musculaire par IRM (imagerie par résonance magnétique) ;
  • Concentration plasmatique de créatine kinase (CK), un marqueur de dommage musculaire ;
  • Douleur musculaire perçue (DOMS) via échelle visuelle analogique (0 à 10) ;
  • Expression du gène IGF-1Ea mRNA, impliqué dans le remodelage musculaire.

Résultats : gains équivalents, douleurs différentes

Hypertrophie musculaire

Les deux groupes ont présenté des augmentations similaires de volume musculaire du quadriceps mesuré par IRM :

  • Groupe 8 semaines : +7,5 % ± 2,2 % (p < 0,05)
  • Groupe 11 semaines : +6,5 % ± 2,5 % (p < 0,05)

La différence entre les groupes n’était pas statistiquement significative (p = 0,61). Ces résultats confirment que la croissance musculaire est possible même en l’absence de signes biologiques ou perceptibles de dommage.

Force isométrique

La force maximale isométrique mesurée au dynamomètre a également augmenté dans des proportions similaires :

  • Groupe 8 semaines : +25,8 % ± 6,7 %
  • Groupe 11 semaines : +24,8 % ± 7,1 %

L’analyse statistique n’a pas révélé de différence significative entre les groupes (p = 0,89). La progression de la force ne semble donc pas dépendante des dommages musculaires initiaux.

Douleur musculaire (DOMS)

Les scores de douleur musculaire ont été évalués sur une échelle de 0 à 10 chaque semaine :

  • Groupe 8 semaines : pic de douleur en semaine 4 (4,6 ± 1,3), retour à <1 dès la semaine 5.
  • Groupe 11 semaines : douleur stable <1 sur toute la durée du protocole.

Marqueur de dommage musculaire : créatine kinase (CK)

La CK plasmatique a montré une élévation nette chez les participants du groupe 8 semaines :

  • Semaine 4 : 632 ± 89 U/L (vs. 178 ± 24 U/L en semaine 1)
  • Semaine 5 : 510 ± 76 U/L
  • Semaines 7-8 : valeurs oscillant autour de 420 ± 65 U/L

À l’inverse, aucune élévation significative n’a été observée dans le groupe 11 semaines (valeurs proches de la ligne de base : 170–200 U/L). Cela indique que la phase d’introduction a efficacement protégé contre les dommages musculaires détectables.

Expression du gène IGF-1Ea mRNA

Enfin, l’expression d’IGF-1Ea mRNA, un marqueur du remodelage musculaire, a augmenté de manière modeste mais comparable dans les deux groupes (~ +15 % en moyenne), sans différence significative. Cela suggère que les voies moléculaires liées à l’adaptation musculaire sont activées quelle que soit la présence de dommages mesurables.

Interprétation : faut-il avoir mal pour progresser ?

L’étude de Flann et al. montre clairement que les douleurs musculaires et les dommages visibles ne sont pas indispensables à l’hypertrophie musculaire. Le groupe 11 semaines, ayant bénéficié d’une montée en charge progressive, n’a pas souffert de douleurs, n’a pas présenté d’élévation de CK, mais a pourtant obtenu des résultats comparables en termes de force et de croissance musculaire.

Ces résultats sont cohérents avec la notion d’effet répétition (Repeated Bout Effect) : lorsqu’un muscle est exposé à un nouveau stimulus, les premières séances sont plus dommageables. Mais une progression intelligente permet d’induire une tolérance progressive, limitant l’inflammation et les courbatures, sans sacrifier l’efficacité de l’entraînement.

La dissociation temporelle entre douleur et dommage est également instructive. Alors que les douleurs (DOMS) ont disparu après la 4e semaine, les taux de CK sont restés élevés jusqu’à la fin du protocole dans le groupe 8 semaines. Cela montre que la récupération subjective ne reflète pas nécessairement la récupération physiologique.

Enfin, l’absence de différence d’IGF-1Ea entre groupes indique que les processus de croissance musculaire sont multifactoriels et peuvent être stimulés sans inflammation marquée.

Applications pratiques

Cette étude offre un argument fort en faveur de l’intégration de microcycles d’introduction dans les blocs d’entraînement, en particulier dans les situations suivantes :

  • Débutants ou individus revenant d’une pause prolongée : pour éviter un découragement lié aux courbatures sévères.
  • Transitions entre blocs (force → volume, ou inversement) : pour amortir les pics de charge ou de volume.
  • Athlètes soumis à un emploi du temps contraignant ou à une récupération limitée : pour maximiser la tolérance au bloc sans générer de fatigue excessive.

Une introduction efficace implique de réduire temporairement le volume, la charge et la proximité à l’échec (RIR élevé), puis d’augmenter progressivement ces variables sur 1 à 3 semaines, selon le profil du pratiquant.

Conclusion

L’étude de Flann et al. (2011) démontre qu’il n’est pas nécessaire de provoquer des dommages musculaires mesurables pour obtenir des gains significatifs en force et en hypertrophie. En structurant intelligemment les premières semaines d’un programme avec un volume, une charge et une intensité progressifs, il est possible de protéger les muscles tout en maximisant les adaptations. Cela ouvre la voie à une planification plus stratégique, surtout dans des contextes où la récupération est limitée ou où l’adhésion est un enjeu fort. Pour l’athlète comme pour le coach, la douleur n’est plus une condition de la performance, mais une variable à moduler intelligemment.

Liste des Références Scientifiques

L’étude complète

Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :

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