Introduction
La question de savoir si les exercices de musculation peuvent être considérés comme une forme d’entraînement cardiovasculaire suscite de nombreux débats dans le domaine du sport et de la santé. Traditionnellement, les exercices de résistance comme le squat sont principalement associés au développement de la force musculaire et de l’hypertrophie, tandis que les activités d’endurance telles que la course à pied ou le cyclisme sont réputées pour leurs effets bénéfiques sur le système cardiovasculaire. Cependant, certaines expériences subjectives et observations empiriques suggèrent que des exercices de musculation effectués avec un volume et une intensité élevés peuvent induire des réponses physiologiques similaires à celles de l’entraînement aérobie.
Dans cette optique, une étude récente menée par Hong et al. (2024) s’est intéressée aux demandes cardio-respiratoires et aérobies induites par l’exercice de squat, en analysant des marqueurs physiologiques tels que la consommation d’oxygène (VO2), la fréquence cardiaque et la ventilation minute. Cette étude a cherché à déterminer si l’exécution de squats lourds en séries longues pouvait produire des adaptations comparables à celles d’un entraînement cardiovasculaire traditionnel et si le niveau de force des individus influençait ces réponses.
Objectifs de l’étude
Pourquoi cette étude est-elle nécessaire ?
L’intégration de l’entraînement en résistance dans un programme global de condition physique est essentielle pour optimiser la force, la masse musculaire et la santé métabolique. Toutefois, il reste incertain dans quelle mesure des exercices de musculation tels que le squat peuvent induire des adaptations cardiovasculaires significatives. Plusieurs interrogations subsistent :
- Le squat effectué avec une charge modérée et un volume élevé génère-t-il une demande cardiovasculaire et aérobie comparable à celle d’un exercice cardio traditionnel ?
- Le niveau de force des individus influence-t-il leur réponse physiologique à cet exercice ?
- La musculation peut-elle être une alternative viable pour améliorer la santé cardiovasculaire ?
Hypothèses des chercheurs
Les chercheurs ont émis l’hypothèse que la consommation d’oxygène durant l’exercice de squat serait élevée, atteignant voire dépassant 85 % du VO2max, suggérant ainsi un stress cardiovasculaire significatif. De plus, ils s’attendaient à ce que les individus les plus forts présentent une consommation d’oxygène relative plus élevée que les individus les moins forts.
Méthodologie de l’étude
Profil des participants et protocole expérimental
L’étude a été menée auprès de 22 hommes adultes en bonne santé, âgés de 20 à 39 ans, ayant au moins un an d’expérience en musculation et un squat 1RM supérieur à 120 % de leur poids corporel. Les participants ont été divisés en deux groupes selon leur force relative : un groupe à force élevée (squat 1RM supérieur à la médiane du groupe) et un groupe à force faible (squat 1RM inférieur à la médiane du groupe).
Les participants ont effectué trois visites en laboratoire espacées d’au moins 48 heures :
- Première visite : Évaluation anthropométrique (taille, poids, composition corporelle) et mesure du VO2max via un test progressif sur tapis roulant.
- Deuxième visite : Détermination du 1RM au squat.
- Troisième visite : Réalisation du protocole expérimental.
Protocole expérimental
Le protocole consistait à exécuter 5 séries de 10 répétitions de squats à 65 % du 1RM, avec 3 minutes de repos entre les séries. Tout au long de l’exercice et des périodes de repos, les chercheurs ont mesuré :
- Consommation d’oxygène (VO2)
- Production de dioxyde de carbone (VCO2)
- Fréquence cardiaque
- Ventilation minute
- Échange respiratoire (RER)
- Perception de l’effort (RPE sur une échelle de 10 points)

Résultats et analyse des données
Consommation d’oxygène et charge cardiorespiratoire
L’un des premiers constats majeurs de cette étude est la sollicitation intense du système cardiorespiratoire au cours des séries de squats. L’oxygène consommé par les participants a progressivement augmenté tout au long de l’exercice, atteignant un pic de 47,8 ± 8,9 ml/kg/min lors de la cinquième série, soit 99,4 % de leur VO2max. En moyenne, la consommation d’oxygène s’est maintenue à 43,7 ± 3,3 ml/kg/min, ce qui représente 92,2 % du VO2max des participants. Ces niveaux sont bien supérieurs au seuil d’intensité définissant une activité intenseb et illustrent la forte demande énergétique et aérobie induite par le squat à 65 % du 1RM.

Parallèlement, la fréquence cardiaque a suivi une trajectoire similaire, augmentant progressivement au fil des séries jusqu’à atteindre un maximum de 175 ± 9 battements par minute à la cinquième série, soit 89,7 % de la fréquence cardiaque maximale. Cette élévation cardiaque traduit une intensité cardiovasculaire comparable à celle observée lors d’exercices d’endurance soutenus, confirmant que le squat, lorsqu’il est pratiqué avec un volume et une intensité modérée à élevée, impose un stress significatif sur le système circulatoire.
Un élément intéressant concerne les fluctuations du quotient respiratoire (RER) entre les périodes d’effort et de repos. Durant les séries, la consommation d’oxygène (VO2) dépassait la production de dioxyde de carbone (VCO2), indiquant une forte sollicitation du métabolisme aérobie. En revanche, entre les séries, la production de CO2 surpassait la consommation d’oxygène, ce qui traduit un ajustement métabolique visant à tamponner l’acidité produite par l’effort intense. Ce phénomène met en évidence l’ampleur des perturbations métaboliques engendrées par ce type d’exercice et la nécessité d’une récupération efficace pour rétablir l’équilibre biochimique.

De même, la ventilation minute a significativement augmenté au cours des séries. Elle est passée de 61,3 ± 14,0 L/min lors de la première série à 85,7 ± 12,9 L/min dans la cinquième série, illustrant une croissance exponentielle des besoins respiratoires à mesure que l’exercice progresse. Cette réponse est caractéristique des exercices mobilisant de larges groupes musculaires et nécessitant une forte implication des systèmes aérobies et anaérobies pour répondre aux exigences métaboliques de l’effort.
Enfin, la perception subjective de l’effort (RPE) a suivi une évolution marquée. Dès la première série, les participants ont attribué une note moyenne de 7 ± 1 sur l’échelle d’effort perçu, indiquant une difficulté initiale déjà élevée. Cette notation a continué d’augmenter au fil des répétitions, culminant à 10 ± 1 lors de la cinquième série, reflétant une sensation d’effort maximale en fin d’exercice. Cette montée progressive de la fatigue perçue suggère que même à charge sous-maximale, le squat induit une forte contrainte physiologique, comparable à des efforts de haute intensité sur le plan cardiorespiratoire.
Impact des niveaux de force sur la réponse physiologique
L’étude a également permis d’examiner les différences physiologiques entre les participants en fonction de leur niveau de force, en distinguant un groupe de pratiquants plus forts (1RM au squat supérieur à la médiane du groupe) et un groupe de pratiquants moins forts (1RM inférieur à la médiane).
Les résultats ont montré que le groupe des athlètes plus forts présentait des caractéristiques corporelles distinctes. Leur masse corporelle moyenne était plus élevée (90,7 ± 10,4 kg contre 77,4 ± 3,1 kg, p = 0,004), tout comme leur masse musculaire squelettique (41,8 ± 3,5 kg contre 35,3 ± 3,1 kg, p < 0,001). En conséquence, leur performance en squat était nettement supérieure, avec une charge maximale moyenne de 168,4 ± 16,4 kg contre 114,4 ± 13,4 kg pour les pratiquants moins forts (p < 0,001).

L’une des observations les plus marquantes concerne les différences de consommation d’oxygène relative au VO2max entre les deux groupes. Les athlètes les plus forts ont atteint 108,0 % de leur VO2max en pic de consommation d’oxygène, contre 93,7 % pour les pratiquants moins forts. La moyenne de VO2 relative sur l’ensemble des séries confirmait cette tendance, avec 98,3 ± 8,0 % du VO2max chez les plus forts contre 86,1 ± 5,9 % chez les moins forts (p = 0,026). Ces résultats suggèrent que les individus possédant une meilleure force relative sont capables de mobiliser une consommation d’oxygène plus élevée, sans doute en raison d’une plus grande capacité musculaire à utiliser les substrats énergétiques et à gérer la contrainte métabolique de l’exercice.

En revanche, les réponses cardiaques sont restées similaires entre les groupes, sans différence significative entre leurs fréquences cardiaques maximales (91,0 % vs. 90,0 % de la fréquence cardiaque maximale mesurée, p = 0,245). Cela indique que même si les athlètes plus forts utilisent plus d’oxygène et atteignent des niveaux de consommation plus élevés, leur cœur ne bat pas plus vite que celui des pratiquants moins forts. Ces données suggèrent que la capacité musculaire à soutenir l’effort et l’efficacité du transport de l’oxygène dans l’organisme sont plus déterminantes que la réponse cardiaque brute dans la gestion de l’intensité d’un exercice de squat répété.
Ces résultats permettent donc d’affirmer que les pratiquants plus expérimentés et plus forts ne subissent pas nécessairement une contrainte cardiaque supérieure, mais qu’ils parviennent à mobiliser davantage d’oxygène pour répondre aux besoins métaboliques de l’exercice. Cela pourrait refléter une meilleure adaptation de leur système musculaire et circulatoire, qui leur permet d’exploiter plus efficacement les ressources énergétiques disponibles, en réduisant la nécessité d’une montée excessive en fréquence cardiaque.
Discussion et interprétation des résultats
Le squat est-il un exercice cardiovasculaire ?
Les résultats montrent que l’exercice de squat peut atteindre des niveaux de consommation d’oxygène classés comme activité physique intense, avec des valeurs comparables à celles d’une course à 11 km/h. Cependant, l’intensité du stress cardiovasculaire n’implique pas nécessairement des adaptations similaires à celles d’un entraînement cardio conventionnel.
Comparaison avec d’autres exercices
Des études antérieures sur les exercices de musculation (Vezina et al.) ont rapporté une consommation d’oxygène plus faible pour des exercices au poids du corps ou des circuits d’exercices. Cela suggère que la charge et le type d’exercice influencent fortement l’impact aérobie.
Adaptations métaboliques et cardiaques
Si l’entraînement en résistance peut induire certaines adaptations métaboliques (augmentation des mitochondries musculaires, capillarisation accrue), ces adaptations restent moins prononcées que celles d’un entraînement aérobie traditionnel. De plus, les adaptations cardiaques observées chez les pratiquants de musculation sont différentes de celles observées chez les coureurs ou les cyclistes, ces derniers développant une hypertrophie excentrique du cœur tandis que les haltérophiles présentent plutôt une hypertrophie concentrique.
Conclusion
L’étude de Hong et al. (2024) démontre que l’exercice de squat effectué avec une charge modérée et un volume élevé induit une réponse cardiovasculaire et aérobie significative, avec une consommation d’oxygène atteignant des niveaux comparables à ceux d’une activité cardio de haute intensité. Cependant, bien que le squat “compte” comme une activité cardio sur le plan énergétique, il ne remplace pas totalement un entraînement cardiovasculaire dédié en raison de différences en termes d’adaptations métaboliques et cardiaques.
En pratique, inclure des exercices de musculation comme le squat dans un programme global peut compléter l’entraînement cardiovasculaire, mais pour une optimisation complète de la santé cardiorespiratoire, il reste préférable d’incorporer des formes d’aérobie traditionnelles telles que la course, le vélo ou la natation.
Liste des Références Scientifiques
- Hong S, Oh M, Oh CG, Lee HD, Suh SH, Park H, et al. Cardiorespiratory and aerobic demands of squat exercise. Sci Rep. 2024 Aug 8;14(1):18383.
- Vezina JW, Der Ananian CA, Campbell KD, Meckes N, Ainsworth BE. An examination of the differences between two methods of estimating energy expenditure in resistance training activities. J Strength Cond Res. 2014 Apr;28(4):1026–31.
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- Saunders AM, Jones RL, Richards J. Cardiac structure and function in resistance-trained and untrained adults: A systematic review and meta-analysis. J Sports Sci. 2022 Oct;40(19):2191-2199.
L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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