Introduction
Un aspect souvent négligé dans l’amélioration de l’endurance musculaire est le focus attentionnel. Le focus attentionnel fait référence à la manière dont l’attention d’un individu est orientée pendant l’exécution d’un exercice. Il peut s’agir d’un focus interne, où l’attention est dirigée vers les sensations corporelles, comme la contraction d’un muscle, ou d’un focus externe, où l’attention est dirigée vers l’environnement extérieur ou l’objectif de la tâche, comme déplacer une barre de poids d’un point A à un point B. Cette distinction, bien que subtile, peut avoir un impact significatif sur la performance en musculation, en particulier sur le nombre de répétitions qu’une personne peut effectuer avant l’épuisement.
Cet article se base sur une revue scientifique approfondie menée par Grgic et Mikulic en 2021, qui explore les effets du focus attentionnel sur l’endurance musculaire. L’objectif de cet article est de rendre ces résultats complexes et les concepts qui y sont associés accessibles à un public plus large, en particulier aux pratiquants de musculation de tous niveaux. Nous examinerons comment les différentes formes de focus attentionnel peuvent influencer la performance en musculation et comment ces connaissances peuvent être appliquées pour améliorer vos entraînements.
Comprendre le focus attentionnel
Définitions clés
Le concept de focus attentionnel est fondamental dans la performance sportive, et plus particulièrement en musculation. Le focus attentionnel peut être divisé en deux catégories principales : le focus interne et le focus externe.
Le focus attentionnel interne implique de concentrer son attention sur les sensations corporelles internes lors de l’exécution d’un mouvement. Par exemple, lorsque vous effectuez un développé couché, un focus interne pourrait consister à se concentrer sur la contraction de vos pectoraux ou sur la sensation de tension dans vos triceps. Cette forme de concentration est souvent utilisée pour maximiser l’activation musculaire et pour s’assurer que les muscles cibles sont bien engagés tout au long de l’exercice.
En revanche, le focus attentionnel externe se réfère à la concentration sur l’objectif externe du mouvement. Cela pourrait signifier, par exemple, se concentrer sur le fait de déplacer la barre aussi rapidement et efficacement que possible lors d’un squat ou de penser à pousser la barre « à travers le plafond » lors d’un développé couché. Le focus externe est souvent associé à une meilleure performance globale, car il permet au système nerveux de coordonner les mouvements de manière plus naturelle et fluide, sans être distrait par des pensées internes sur la technique ou la contraction musculaire.
Ces deux types de focus attentionnel peuvent influencer la performance de manière différente, en fonction de l’exercice pratiqué et des objectifs visés, comme nous le verrons plus en détail dans cet article.
Théorie de l’hypothèse de l’action contrainte
Pour comprendre pourquoi le focus attentionnel a un tel impact sur la performance, il est essentiel de se pencher sur la théorie de l’hypothèse de l’action contrainte. Cette théorie propose que lorsque nous nous concentrons sur un aspect interne du mouvement (focus interne), notre système nerveux est en quelque sorte « contraint » ou « bridé ». Autrement dit, en nous concentrant trop sur une partie spécifique du mouvement, nous empêchons notre système nerveux de coordonner naturellement l’ensemble des actions nécessaires pour accomplir la tâche de manière optimale.
En revanche, avec un focus attentionnel externe, le système nerveux est libre de coordonner les mouvements de manière plus automatique et efficace. Plutôt que de penser consciemment à chaque détail du mouvement, nous permettons à notre corps d’exécuter l’action de manière fluide, en utilisant toutes les ressources disponibles pour maximiser la performance. C’est cette liberté de mouvement, libérée des contraintes d’une attention excessive aux détails internes, qui conduit souvent à une meilleure performance, notamment en termes d’endurance musculaire.
Cette théorie a été largement étudiée et soutenue par des recherches, notamment dans le cadre des sports de performance, mais elle est tout aussi pertinente pour la musculation. En comprenant comment et pourquoi ces différentes formes de focus influencent la performance, vous pouvez adapter votre approche pour maximiser vos résultats.
Méthodologie de la méta-analyse
Recherche et sélection des études
Pour évaluer l’impact du focus attentionnel sur l’endurance musculaire, Grgic et Mikulic ont mené une méta-analyse rigoureuse en 2021. Dans ce cas précis, les auteurs ont cherché à identifier toutes les études pertinentes qui comparaient les effets du focus interne et externe sur l’endurance musculaire.
Pour ce faire, ils ont mené une recherche exhaustive dans cinq bases de données scientifiques majeures : la Networked Digital Library of Theses and Dissertations, PubMed/MEDLINE, Scopus, SportDiscus et Web of Science. Ces bases de données couvrent une vaste gamme de disciplines scientifiques, y compris la médecine du sport, la physiologie de l’exercice, et la réathlétisation.
Les critères d’inclusion pour cette méta-analyse étaient stricts :
- Les études devaient être publiées en anglais, ce qui garantit un certain niveau de rigueur scientifique et une accessibilité à la communauté internationale.
- Les études devaient utiliser un design en crossover. Ce type de conception est particulièrement utile car chaque participant sert de son propre témoin, ce qui réduit les variations individuelles et permet une comparaison plus précise des effets du focus interne et externe.
- Les études devaient comparer les effets du focus interne versus externe sur l’endurance musculaire. Plus précisément, l’endurance musculaire devait être mesurée en termes de nombre de répétitions complètes effectuées jusqu’à l’échec lors d’un exercice isotoniques (exercices de résistance avec des poids libres ou le poids du corps).
- Les tests sur des dynamomètres isocinétiques ou isométriques étaient exclus, car ces types de tests ne représentent pas fidèlement les conditions réelles de l’entraînement avec des poids.
Après avoir identifié les études répondant à ces critères, les chercheurs ont extrait toutes les données nécessaires pour effectuer des analyses statistiques, notamment en calculant les tailles d’effet standardisées (Cohen’s d), qui permettent de comparer les effets entre différentes études. Ils ont également procédé à une série de méta-analyses à effets aléatoires. Cette méthode est appropriée lorsqu’il existe une certaine hétérogénéité entre les études, c’est-à-dire lorsque les conditions expérimentales varient légèrement d’une étude à l’autre.
Analyse des données
Une fois les études sélectionnées, l’analyse des données a été une étape cruciale. Les chercheurs ont calculé les tailles d’effet pour comparer le focus interne et externe. Le Cohen’s d est une mesure statistique qui indique l’ampleur d’un effet observé ; un d élevé signifie un effet plus important. Cette méthode permet de quantifier précisément la différence de performance entre les deux types de focus.
En plus de l’analyse principale, qui a comparé les effets du focus interne et externe sur l’endurance musculaire, les chercheurs ont également effectué des sous-analyses. Ces sous-analyses ont permis d’examiner si les résultats différaient en fonction du type d’exercice (haut du corps versus bas du corps). Ce type d’analyse est crucial pour déterminer si certains types d’exercices bénéficient plus que d’autres d’un focus attentionnel particulier.
Pour évaluer la rigueur des études incluses, les chercheurs ont utilisé la checklist PEDro. Cet outil est couramment utilisé dans la recherche en sciences du sport pour évaluer la qualité méthodologique des études. Un score élevé sur cette échelle indique une meilleure qualité méthodologique, ce qui renforce la fiabilité des conclusions tirées.
Résultats de la méta-analyse
Présentation des résultats globaux
Parmi les cinq études qui répondaient aux critères d’inclusion, un total de 141 sujets a été inclus dans l’analyse, répartis entre 24 femmes et 117 hommes. Ces études ont toutes utilisé des exercices poly-articulaires comme le squat, le développé couché, les push-ups et le soulevé de terre, qui sont des mouvements couramment pratiqués en musculation.
L’un des résultats les plus significatifs de cette méta-analyse est que l’adoption d’un focus attentionnel externe conduit à une amélioration notable de l’endurance musculaire par rapport à un focus interne. L’effet global (d = 0,58, p = 0,001) indique une amélioration significative des performances en termes de répétitions effectuées jusqu’à l’échec lorsque les participants utilisaient un focus externe. Cet effet était constant à travers toutes les études, ce qui renforce la fiabilité des résultats.

Les sous-analyses ont également révélé que cette différence était plus marquée lors des exercices pour le bas du corps (d = 1,36, p = 0,01) que pour ceux du haut du corps (d = 0,53, p = 0,0003). Cela suggère que le focus externe pourrait être particulièrement bénéfique pour les exercices impliquant les membres inférieurs, où la coordination et la stabilisation jouent un rôle plus crucial.

Analyse des sous-groupes
L’analyse des sous-groupes a révélé des résultats intéressants concernant les différences entre les exercices du haut et du bas du corps. Pour les exercices du bas du corps, tels que le squat et le soulevé de terre, l’effet du focus externe était beaucoup plus prononcé. Cela pourrait s’expliquer par la complexité et la nature multi-articulaires de ces mouvements, qui nécessitent une coordination musculaire plus poussée et une plus grande stabilisation du tronc.
En revanche, pour les exercices du haut du corps, comme le développé couché et les push-ups, bien que le focus externe ait également montré un avantage, cet avantage était légèrement moins marqué. Cela pourrait être dû au fait que les exercices du haut du corps impliquent moins de muscles stabilisateurs et que la performance repose davantage sur la force des muscles primaires, tels que les pectoraux, les deltoïdes et les triceps, plutôt que sur la coordination globale du corps.
Ces résultats indiquent que le type d’exercice et la partie du corps ciblée doivent être pris en compte lors du choix du focus attentionnel pour maximiser la performance. Pour les exercices complexes du bas du corps, un focus externe pourrait être particulièrement bénéfique pour augmenter l’endurance musculaire.
Interprétation des résultats
Implications pour les pratiquants de musculation
Les résultats de cette méta-analyse offrent des implications pratiques importantes pour les pratiquants de musculation. Si vous cherchez à améliorer votre endurance musculaire, que ce soit pour accomplir plus de répétitions lors de vos séries ou pour prolonger la durée de vos séances d’entraînement, il semble clair que l’adoption d’un focus attentionnel externe est recommandée. En concentrant votre attention sur l’objectif du mouvement, plutôt que sur les sensations internes, vous permettez à votre système nerveux de coordonner plus efficacement vos actions, ce qui se traduit par une meilleure performance.
Par exemple, si vous effectuez un squat, au lieu de vous concentrer sur la sensation de vos quadriceps ou sur l’alignement précis de vos genoux, essayez de vous concentrer sur le déplacement de la barre ou sur l’idée de « pousser le sol ». Ce type de focus externe a montré une amélioration notable du nombre de répétitions que vous pouvez effectuer avant l’épuisement.
Cependant, il est important de noter que ces résultats varient en fonction du type d’exercice. Les exercices impliquant les membres inférieurs, comme le squat et le soulevé de terre, semblent particulièrement bénéficier d’un focus externe, probablement en raison de la complexité de ces mouvements qui nécessitent une coordination inter-musculaire plus importante.
Impact sur la force et l’hypertrophie
Au-delà de l’endurance musculaire, ces résultats soulèvent également des questions importantes concernant la force et l’hypertrophie. Pour les objectifs de développement de la force, il est généralement conseillé d’adopter un focus externe. En effet, des études antérieures ont montré que ce type de focus améliore non seulement la performance en termes de répétitions, mais aussi la force maximale atteinte lors des tests de force à long terme.
Pour l’hypertrophie, cependant, le tableau est plus nuancé. Un focus interne, qui met l’accent sur la contraction musculaire et l’engagement des muscles cibles, pourrait être plus bénéfique pour certains pratiquants, en particulier lorsqu’ils travaillent sur des muscles spécifiques ou des groupes musculaires où la connexion esprit-muscle est faible. Une étude de Schoenfeld et al. (2018) a montré que le focus interne peut favoriser une plus grande croissance musculaire dans certains muscles, comme les biceps, en comparaison avec un focus externe.
Cependant, il est essentiel de noter que l’hypertrophie dépend également de nombreux autres facteurs, tels que le volume d’entraînement, l’intensité et la récupération. Bien que le focus interne puisse réduire légèrement le nombre de répétitions que vous pouvez effectuer, cela ne signifie pas nécessairement que les muscles ne reçoivent pas un stimulus suffisant pour la croissance. En réalité, un focus interne pourrait augmenter l’activation musculaire, ce qui pourrait compenser le nombre réduit de répétitions en termes de stimulus hypertrophique.
En conclusion, bien que le focus externe soit généralement recommandé pour la performance en force et en endurance musculaire, le focus interne pourrait avoir sa place dans les programmes d’entraînement axés sur l’hypertrophie, en particulier pour les exercices mono-articulaires ou lorsque vous ciblez des muscles spécifiques.
Conclusion
En résumé, la méta-analyse de Grgic et Mikulic (2021) a montré que le focus attentionnel externe est particulièrement bénéfique pour améliorer l’endurance musculaire, en permettant aux pratiquants de musculation d’effectuer plus de répétitions avant d’atteindre l’épuisement. Ce type de focus semble être encore plus avantageux pour les exercices complexes impliquant les membres inférieurs. D’autre part, le focus interne pourrait avoir des avantages spécifiques pour l’hypertrophie, en particulier pour les exercices isolants ou pour les muscles nécessitant une attention particulière.
Cependant, il reste encore des domaines où davantage de recherches sont nécessaires. Les effets du focus attentionnel sur les exercices mono-articulaires, ainsi que sur l’hypertrophie à long terme, sont encore peu explorés. De futures études pourraient aider à clarifier ces questions et à affiner les recommandations pratiques pour les athlètes et les entraîneurs.
En attendant, les pratiquants de musculation peuvent déjà appliquer ces connaissances pour optimiser leur entraînement. En comprenant comment et pourquoi le focus attentionnel influence la performance, vous pouvez adapter votre approche pour atteindre vos objectifs de manière plus efficace et efficiente.
Liste des Références Scientifiques
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L’étude complète
Merci pour votre lecture, si vous souhaitez aller plus loin le texte complet de l’étude est disponible ici :
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